La question peut paraitre bizarre au premier abord mais c’est loin d’être anodin… Tout d’abord, c’est quoi une particule, au sens de la physique ?
Une particule, c’est quoi ?
Il existe deux types de particules en physique des particules :
- Les particules élémentaires sont des éléments indivisibles selon les connaissances actuelles.
- Exemple : les électrons, les quarks, les photons (il y en a 18 dans le modèle standard de la physique des particules).
- Les particules composites qui sont constituées de particules élémentaires et qui forment une nouvelle entité indépendante.
- Exemple : les protons et les neutrons (formés de quarks), les différents atomes comme l’hydrogène, le carbone, l’uranium, etc. (formés de protons, neutrons et électrons), les molécules (formées d’atomes), etc.

La masse, c’est quoi ?
Dans mon titre, j’utilise le mot « pèse », qui fait donc référence au « poids » mais en fait, dans le langage courant, on confond souvent le « poids » et la « masse ». Le poids s’exprime en Newton et diffère selon la gravité, c’est pourquoi votre poids est moindre sur la Lune que sur Terre. La « masse », quant à elle, s’exprime en kilogramme et est toujours la même, sur Terre ou sur la Lune. Pour plus d’info, allez voir un ancien billet sur le sujet : Le poids sur Terre. Bref, ici, on cherche plutôt la « masse » des particules.
En physique, selon le domaine, on n’utilise pas forcément le kilogramme (kg) mais aussi l’électronvolt (eV) qui est une unité d’énergie mais qui est équivalente au kilogramme en vertu de la relativité restreinte qui stipule que masse et énergie sont équivalentes (E=mc2). Donc une masse (en kilogramme), peut aussi s’exprimer en Joule ou en électronvolt, plus commode avec les particules qui sont toutes petites (1 électronvolt = 0.0000000000000000001602176565 Joule).
Pour compliquer encore un peu le tout, comme les mesures sont ultraprécises et pour éviter de se trimbaler 50 chiffres, on estime le plus souvent la masse des particules en fonction de l’unité de masse atomique unifiée (notée u) qui est définie comme un douzième de la masse d’un atome de carbone 12 (1 u ~ 1,660 539 066 60 × 10−27 kg). La masse d’un atome de carbone vaut donc exactement « 12 u » et peut être utilisée comme étalon pour mesurer la masse des autres particules.
La masse d’une particule
Maintenant passons aux choses sérieuses : trouver la masse de l’électron et du proton : les particules que nous connaissons le mieux. En kilogramme, en Joule, en électronvolt, en unité de masse, peu importe, c’est la même chose. Et comme vous pouvez vous en douter, on ne peut pas prendre un petit électron et le poser sur une balance pour le peser, c’est clairement impossible de procéder de la sorte avec nos technologies actuelles. Les meilleures balances professionnelles (balances analytiques) sont précises à environ un dix millième de gramme, ce qui représente environ cent mille milliards de milliards d’électrons, ça ne va pas le faire pour en peser un seul, il faut donc trouver autre chose. En fait, il y a plusieurs méthodes, et selon la précision voulue, ces méthodes sont plus ou moins compliquées et précises.
Joseph John Thomson, le découvreur de l’électron en 1897, est le premier à en estimer sa masse expérimentalement (il recevra pour cela le prix Nobel de physique en 1906). A l’époque, Thomson étudie les rayons cathodiques. Ces rayons, connus depuis le milieu du 19ème siècle, sontdes faisceaux d’électrons générés dans une ampoule en verre sous vide grâce à l’application d’une forte tension électrique entre ses deux extrémités métalliques. Thomson mesure la déviation de ces rayons en présence d’un champ magnétique. De ce fait, il peut en déduire que ces « rayons » sont constitués de particules négatives et que le rapport entre leur masse et leur charge (m/q) est extrêmement petit. Il constate que ces particules sont environ mille fois plus légères que les ions hydrogènes (autrement dit, les protons). Belle prouesse pour l’époque, c’est ainsi Thomson le premier à démontrer que les atomes sont divisibles et sont constitués d’éléments plus petits. Il développe même un modèle de l’atome : le modèle du pudding où les électrons représentent les grains de raisins du pudding, lui-même constitué de protons, mais ce modèle sera rapidement détrôné en 1911 par Rutherford qui démontre que les électrons (négatifs) se tiennent à bonne distance d’un noyau (positif).

Aujourd’hui les tubes cathodiques ont été remisés à la cave avec nos vieilles TV cathodiques. La dernière expérience en date pour mesurer la masse des particules chargées utilise ce que l’on appelle des « pièges de Penning » et sont des expériences de physique complexes, mises en œuvre par les meilleures équipes de recherche internationales mais le principe n’est pas si compliqué.

Pour faire rapide, un piège de penning permet de maintenir une ou plusieurs particules chargées de même signe comme des électrons (négatifs) ou des protons (positifs) dans un volume restreint. Ce piège est constitué d’un champ magnétique homogène qui impose aux particules de suivre une sorte de spirale ainsi qu’un champ électrique (qu’on qualifie de quadrupolaire) obligeant les particules à rester dans un volume donné. En gros, la particule tourne un peu comme une toupie tout en décrivant des spirales au sol mais qui en plus fait des montées/descentes en même temps tout en restant dans une sorte de bol sur lequel la toupie rebondirait.

Mais comment déduire la masse d’une particule avec ce piège ? Eh bien, les physiciens peuvent la déduire de ce mouvement un peu spécial. En effet, la fréquence d’oscillation de la particule selon la composante orange (nommée mouvement cyclotron et notée ω+ sur le dessin et ωc sur l’équation ci-dessous) peut être mesurée avec une très grande précision (de l’ordre du dixième de milliardième) et elle est fonction de la charge de la particule (q=connue), du champ magnétique appliqué (B=connu) et de la masse de la particule (m=inconnue):

Dans la réalité c’est un tout petit peu plus compliqué mais c’est en exploitant ce principe qu’on mesure aujourd’hui la masse des électrons et des protons avec une très grande précision. A noter tout de même que pour que ça marche correctement, le tout se fait à température cryogénique, à environ -269 degrés Celsius, soit 4 degrés seulement au-dessus du zéro absolu (4 Kelvin), sinon ce serait trop facile… Les derniers résultats en date sont les suivants :
- Proton : mesuré à l’institut Max Planck d’Heidelberg en Allemagne en 2017: Améliore la précédente mesure d’un facteur 3 et l’erreur relative est estimée à un millième de milliardième.
- Electron : mesuré à l’institut Max Planck d’Heidelberg en Allemagne en 2014 : Améliore la précédente mesure d’un facteur 13 et l’erreur relative est estimée à un centième de milliardième. C’est comme détecter la masse d’un moustique (2,5 mg) sur un Airbus A380 (575 tonnes).
Valeurs mesurées :
- Proton = 1,007276466583 u (soit approximativement 1,67262 × 10−27 kg).
- Electron = 0,000548579909067 u (soit approximativement 9,109 × 10−31 kg).
L’électron est ainsi 1836 fois plus léger que le proton.