Au mois de novembre 2010, une équipe du CERN avait réussi à mettre de l’antimatière en boite pendant quelques fractions de secondes et au mois de mars 2011 c’est pendant 20 minutes que les physiciens ont capturé de l’antihydrogène dans un piège…
L’antimatière a toujours interpellé les auteurs de science-fiction depuis sa découverte dans les années 30 étant donné que l’énergie produite par la rencontre de matière et d’antimatière est colossale. Voilà une nouvelle qui relance l’idée de savoir si l’antimatière pourrait un jour être utilisée pour la propulsion spatiale comme dans Star Trek.
L’énergie se mesure en Joule mais cette unité n’est pas très commode et peu représentative. Pour avoir une unité de mesure plus parlante et pour comparer les énergies facilement, on parlera plutôt en kilogramme équivalent pétrole ou « kep » qui correspond à l’énergie calorifique que l’on peut extraire d’un kilogramme de pétrole. Pour information, 1 kg de pétrole permet de produire 42 millions de Joules sous forme de chaleur lorsqu’on le brûle (combustion). Pour se rendre compte de ce que cela représente, un européen moyen consomme en moyenne 10 kep par jour.
L’USS Enterprise de Star Trek fonctionne à l’antimatière.
A titre de comparaison, la fission nucléaire exploitée dans nos centrales nucléaires permet de récupérer environ 10 000 kep par kilogramme d’uranium, soit une concentration énergétique bien supérieure qu’avec la combustion du pétrole. De même, la fusion thermonucléaire qui se produit dans les étoiles et qui pourrait être à long terme une nouvelle source d’énergie pour l’homme sur Terre (voir (voir ITER) permet de récupérer environ 15 millions de kep dans un kilogramme de mélange Deutérium-Tritium.
Et l’antimatière alors ? Selon la célèbre formule E=mc² d’Einstein, 1 kg de matière contient potentiellement 90 millions de milliards de Joules, soit 2 milliards de kep, ce qui correspond à une densité d’énergie 2 milliards de fois supérieure au pétrole et 200 000 fois supérieure à l’uranium avec la fission nucléaire de nos centrales.
Petit résumé des équivalents énergétiques:
- 1 kg de bois (par combustion) = 0,3 kep
- 1 kg de charbon (par combustion) = 0,7 kep
- 1 kg de fioul (par combustion) = 0,95 kep
- 1 kg d’essence (par combustion) = 1,05 kep
- 1 kg d’uranium naturel (par fission nucléaire) = 10 000 kep
- 1 kg de Deutérium-Tritium (par fusion thermonucléaire) = 15 millions de kep
- 1 kg d’antimatière (par annihilation matière-antimatière) = 2 milliards de kep
Exploiter l’antimatière
Pour comprendre ce qu’est l’antimatière, je vous invite à lire un de mes billets précédents sur l’antimatière mise en boite au CERN.
Sur le papier, la solution de l’antimatière pour notre avenir énergétique parait bien évidemment la meilleure. Mais deux grands problèmes se posent (et pas des moindres) :
- Comment créer des quantités suffisantes d’antimatière sans dépenser trop d’énergie
- Comment stoker l’antimatière
Aujourd’hui, l’antimatière est créée dans des accélérateurs de particules en quantité infime et il faut dépenser beaucoup (mais alors beaucoup) plus d’énergie que ce que la quantité d’antimatière pourrait produire. En bref, ce n’est absolument pas rentable. De plus, pour la stocker, il faut fabriquer un piège bien particulier pour maintenir l’antimatière en lévitation dans le vide car le moindre contact avec de la matière ordinaire l’annihile instantanément.
Pour vous rendre compte des ordres de grandeurs, dans un kilogramme d’hydrogène, il y a environ 602 millions de milliards de milliards d’atomes. Il faudrait donc créer autant d’antihydrogènes pour pouvoir faire 1 kilogramme d’antimatière. Or, quand une expérience du CERN annonce avoir réussi à confiner de l’antimatière pendant 16 minutes, ce n’est pas 1 kilogramme mais seulement 309 antiatomes ! L’énergie pouvant être extraite de ces 309 antiatomes est de l’ordre d’un millième de milliardième de milliardième de kep (1.10-15 kep), soit rien du tout. Je précise que pour accomplir cet exploit, on a dû consommer une énergie colossale en comparaison à ces quelques antiatomes…
L’expérience alpha du CERN qui a capturé 309 antihydrogènes pendant 1000 secondes. © CERN.
Le CERN a produit a peu près un milliardième de gramme d’antimatière durant ces 10 dernières années pour un coût estimé de plusieurs centaines de millions d’euros. On voit bien que cette solution n’est aujourd’hui absolument pas envisageable comme source d’énergie.
Une fusée qui carbure à l’antimatière
Pour propulser une fusée, la problématique est différente car on ne cherche pas à faire de l’énergie la moins chère possible sans polluer mais à embarquer un minimum de carburant pour un maximum de puissance. L’antimatière se relève alors être une excellente candidate. Pour mieux vous rendre compte, une mission vers la planète Mars doit embarquer environ 250 tonnes de carburant conventionnel (hydrogène et oxygène liquides) pour un voyage de presqu’une année alors que 10 milligrammes d’antimatière seraient suffisants pour aller sur mars en 1 mois seulement selon la NASA [source]. Toujours selon la NASA, un coût de 250 millions de dollars serait suffisant pour produire ces 10 milligrammes d’antimatière (sous forme de positrons) avec les technologies actuelles. Dans ce cas, cette solution pourrait être envisagée mais tout de même coûteuse.
Schéma de principe du moteur à antimatière pensé par la NASA pour aller sur Mars. © NASA.
En fait, les « moteurs à antimatière » actuellement à l’étude n’utilisent pas forcément directement l’énergie d’annihilation matière/antimatière pour la propulsion mais exploitent les rayonnements énergétiques (appelés rayons gamma) qui sont produits lors de la rencontre matière/antimatière. Ce rayonnement permet alors de chauffer un fluide comme l’hydrogène. Cependant, il faut tout de même fabriquer cette antimatière avant sur Terre et l’embarquer dans ce moteur et cela est encore loin d’être possible avec les technologies actuelles mais sûrement pas impossible à long terme. Affaire à suivre.
Pour aller plus loin:
Vous parlez de rayonnement gamma..
A ce propos, entre les rayonnments alpha, beta et gamma, lesquels sont les plus nocifs pour l’homme.
Je me suis demandé une fois si on ne pourrait pas utiliser juste un peu d’antimatière comme « catalyseur » : on en prend une petite masse m qu’on annihile avec une masse m de matière, ce qui
produit E=2.m.c^2. Et là il y aurait un « Antigénérateur de Goulu » qui me reste à inventer un de ces jours qui re-convertirait la moitié de cette énergie en une masse m d’antimatière…
Le hic c’est qu’apparemment on ne sait pas produire que de l’antimatière (disons des antiprotons pour simplifier). Au CERN comme ailleurs on réalise des collisions à haute énergie qui produisent
parfois des protons, parfois des antiprotons, en nombre quasiment égal, et on trie ensuite. (en passant, ceci manque dans la FAQ du CERN : « comment fabrique-t-on les antiparticules)
Ma question est donc : est-ce une loi absolument fondamentale que la production d’antiparticules s’accompagne d’une production égale de particules ? ou pourrait-il théoriquement exister un moyen
de produire nettement plus d’antiparticules que de particules ?
> 1 kg d’antimatière (par annihilation matière-antimatière) = 2 milliards de kep
Tout comme le kep représente l’énergie fournie par 1 kg de pétrole (combustible) et une masse inconnue (mais calculable)
d’oxygène (comburant), il faut, pour bien comparer les choses, calculer l’énergie fournie par 1 kg d’antimatière (« combustible ») en tenant compte du fait qu’il faut y ajouter une certaine
quantité de « comburant »… à savoir 1 kg de matière, ce qui donne donc m=2 kg à multiplier par c² pour trouver un total d’environ 4*10^9 kep, et non 2*10^9 😉 !
Dr. Goulu > J’irai plus loin que Benjamin en précisant que ce n’est en fait pas le modèle du Big Bang — formellement parlant,
c’est un modèle, pas une théorie — qui impose la production strictement égale de matière et d’antimatière, mais carrément la théorie quantique des champs (plus connue sous le terme de « mécanique
quantique », bien que ça ne soit pas tout à fait la même chose, et qui est d’une efficacité insolente pour décrire le monde microscopique) qui impose ça : les diagrammes de Feymann représentent graphiquement cette contrainte de co-création
matière/antimatière.
Une autre manière de présenter la chose, plutôt que sortir un diagramme sans explication, est de considérer qu’une antiparticule
(qui avance dans l’espace… et dans le temps) est en fait, à peu de choses près, une particule reculant dans le temps : lorsque cette particule à rebrousse-temps rencontre un photon
(forme pure d’énergie), elle l’absorbe pour changer de direction dans l’espace et dans le temps, devenant ainsi à nos yeux une particule normale créée au point d’espace-temps où le
photon disparaît, tandis que la particule qui reculait dans le temps est, à nos yeux, une antiparticule normale (c.-à-d. qui avance dans le temps) créée au même point d’espace-temps.
Notez que j’ai bien écrit plus haut « à peu de choses près » : c’est cette nuance qui permet en fait, par « violation de la symétrie CP par la force faible », de produire lors de certaines
interactions un tout petit peu plus de matière que d’antimatière (pas l’inverse, me semble-t-il), mais avec une différence absolument pouillèmesque.
Une autre méthode plusieurs centaines de milliards de fois plus efficace de produire plus de matière que d’antimatière serait
d’utiliser le phénomène utilisé par l’Univers à ses débuts pour produire plus de matière que d’antimatière… phénomène totalement inconnu à ce jour (violation de la symétrie CP par la force forte
? peut-être, peut-être pas…) ; mais ici aussi, on produirait plus de matière que d’antimatière, non l’inverse (cf. Univers).
Zut, le copié-collé de la phrase de l’article a changé la taille de police utilisée dans le reste du commentaire précédent, je suis désolé…
C’est pas mal. Quand un « guignol » se ramène pour discuter d’une possible énergie libre ou énergie du vide, il se fait envoyer chier avec une puissance astronomique par tous les détenteurs de l’esprit scientifique « de pointe » (sic), qui glandent bien sûr sur l’Internet après leur journée de boulot, et ce à grand renfort de sacro-lois de « conversation de l’énergie ».
Par contre quand un de ces ayatolas décide d’exposer ses petites théories où là, miraculeusement, il serait capable de « créer » de la matière à partir de rien, ou d’une anti-matière mais sans respect pour la conservation de l’énergie, et ce sous couvert (en plus !) de maîtriser « la fabrique de l’Univers » (rien que ça !), alors là plus personne ne sort des fourrés et des bagnoles en stationnement pour jouer à la BAC de la thermodynamique.
L’anti-matière est fascinante, les possibilités seraient gigantesque si l’on arrivait à l’utiliser