Trois questions qui sont légitimes de se poser aujourd’hui :
- Est-on aussi dépendant du pétrole qu’on le prétend ? Oui !
- Est-ce que la fin du pétrole est pour ce 21ème siècle ? Au rythme actuel de consommation, les calculs donnent encore 50 ans de pétrole, c’est-à-dire jusqu’en 2070.
- Est-ce que la fin du pétrole va provoquer un avenir apocalyptique pour nos enfants ? Eh bien, ça dépend de nous…

Torchère de la raffinerie Pétronor à Bilbao (photo personnelle).
De plus en plus, de nombreux spécialistes remettent en cause la théorie qui annonçait un « pic de production » du pétrole suivi d’une hausse des prix sans précédent et amenant nos sociétés vers un déclin rapide et apocalyptique. Si l’humanité se débrouille bien et veut sauver son climat (ce qui est souhaitable), on devrait progressivement se passer de pétrole et passer à autre chose avant même que les réserves soient épuisées car le prix d’extraction ne sera alors plus compétitif face aux autres énergies. Ceci est bien entendu le scénario positif.
Le pétrole : c’est quoi ?
Le pétrole est en fait une roche liquide qui contient énormément de composés que l’on peut séparer dans des raffineries à l’aide de colonnes de distillation. Le principe est relativement simple: on chauffe le pétrole à différentes températures ce qui permet aux composés les plus légers de monter par évaporation et aux plus lourds de descendre par gravité. On récupère ainsi trois grandes familles:
- Les alcanes (ou paraffines) tout en haut des colonnes vers 70 °C environ, ce sont les composés les plus légers, que vous retrouvez sous forme de bouteilles de gaz dans les stations essence. On les reconnaît avec leurs noms qui finissent en « -ane » : méthane, propane, butane, pentane, etc. Pour info, le GPL n’est rien d’autre qu’un mélange de propane et de butane.
- Les essences et naphta entre 70°C et 220°C avec dedans de quoi faire de l’essence, du kérosène, du gazole, du fioul domestique et la plupart des plastiques (obtenus à partir des naphtas par pétrochimie).
- Les résidus atmosphériques au-delà de 370 °C que l’on « cassera » ensuite (on appelle cela le craquage) pour donner du gazole lourd (qui permettra aussi de faire de l’essence), du fioul lourd (pour les bateaux ou les usines électriques), en enfin les bitumes qui sont les plus lourds et qu’on récupère tout en bas.

Le pétrole : c’est génial mais…
Franchement, si on fait abstraction de la pollution engendrée par l’exploitation du pétrole (extraction, transport, consommation, rejets), le pétrole est un composé absolument formidable avec une myriade d’avantages. Premièrement, il est relativement facile à extraire et contient de nombreux composés qu’on peut séparer facilement par différents processus thermiques et chimiques, c’est pour cela que le pétrole et ses dérivés ne coûtent pas grand-chose et qu’on peut l’exploiter à très grande échelle. Bref, le pétrole est extrêmement bon marché. De plus, le pétrole est plutôt inoffensif comparé à de l’hydrogène explosif ou de l’uranium radioactif.
Dites-vous qu’un litre de pétrole coûte environ 40 centimes d’euro, soit le même prix qu’un litre d’Evian et qu’un litre d’essence sans-plomb 95 coûte moins de 60 centimes, soit 20 centimes de plus à cause du transport et du raffinage, le reste du prix à la pompe représentant les taxes qui constituent 60% du prix total. Le pétrole permet en effet à la France de gagner chaque année environ 35 milliards d’Euros (soit 10 % de ses recettes fiscales).
Aujourd’hui, nous savons que le pétrole est un fléau pour notre planète et que nous devons nous en passer le plus vite possible. La logique voudrait que toute nos politiques et nos économies aillent dans ce sens mais on voit bien à quel point c’est difficile. Nos économies capitalistes mondialisées ont été bâties sur le pétrole pas cher. On commence à sortir un peu de ce modèle mais ça va encore prendre du temps, surtout avec des pays comme les États-Unis ou la Chine qui ne sont pas prêt à jouer le jeu. Pourtant, la Chine qui n’a pratiquement pas de pétrole sur son sol a tout intérêt à investir ailleurs.
Tout de même, le pétrole qui représentait 46 % de l’énergie consommée sur la planète en 1973 n’en représente plus que 32% en 2017 (vient ensuite le charbon avec 27 %). Cependant, si on regarde en valeur absolue, on a consommé en 2019 la quantité incroyable de 4,5 milliards de tonnes pétrole contre 2,8 milliards en 1973 (soit presque le double en 50 ans!).
Vous l’avez compris, notre économie est plus que jamais dépendante de l’or noir et nous avons moins de 50 ans pour changer notre modèle. Les plus gros problèmes vont être clairement les transports, les plastiques et l’agriculture qui représentent 80% des usages du pétrole.

Dans les transports
En tant que combustible, la densité énergétique du pétrole est excellente et en fait de facto le candidat idéal pour les transports. L’essence possède une densité énergétique de 45 MJ/kg (charbon = 30 MJ/kg) qui permet de propulser de gros véhicules avec un encombrement moteur/combustible minime. Avec 70 litres d’essence, vous pouvez parcourir 500 kilomètres en moins de 5 heures dans une voiture qui pèse 1 tonne (dont seulement 150 kg pour le moteur) ! Aucun autre combustible peut se vanter de telles caractéristiques aujourd’hui. Certes, la densité énergétique d’une réaction de fission nucléaire avec de l’uranium enrichi est bien meilleure (70 000 fois meilleure) mais en contrepartie il faut construire un réacteur nucléaire encombrant qui amène aussi beaucoup de risques. C’est pour cette raison qu’on propulse des sous-marins militaires à l’énergie nucléaire mais les coûts et les risques qui en découlent sont inacceptables pour l’automobile ou l’aviation d’aujourd’hui.
Ah, l’aviation ! Sans doute ce sera un des derniers bastions du pétrole (avec le kérosène) car aujourd’hui, aucun candidat sérieux ne pointe le bout de son nez dans ce secteur où le rapport poids/puissance est vital… D’un autre coté, pour envoyer des hommes dans l’espace ou sur la Lune, nul besoin de pétrole comme carburant dans les fusées : c’est de l’hydrogène et de l’oxygène sous forme liquide à température cryogénique qui sont utilisés. Enfin personnellement, faire un voyage en étant assis sur une bombe, ça m’emballe moyen…
Dans les plastiques
« Le plastique, c’est fantastique » nous disait Elmer Food Beat en 1991. On peut tout faire en plastique, et l’humanité ne s’en est pas privée !!!

Cette année, encore un triste record en 2020 avec 450 millions de tonnes de plastique fabriqué, principalement pour les emballages (158 millions de tonnes). Il existe pléthore de plastique à base pétrole mais le plus connu est sans doute le PET (Poly Téréphtalate d’Ethylène) dans lequel on forme la plupart des bouteilles plastiques. Il faut utiliser 2 kg de pétrole pour obtenir 1 kg de PET et la France en importe environ 30 000 tonnes par an ! Évidemment, ça ne coûte rien, environ 1 euro le kilo, mais la facture environnementale et sanitaire est beaucoup plus salée (il est désormais établi que certaines de ces bouteilles contiennent de l’antimoine dans des proportions dangereuses pour la santé). Et aussi, si vous ne le savez pas : NE JAMAIS RE-UTILISER UNE BOUTEILLE PET (symbole triangle de recyclage avec un « 1 » à l’intérieur).

En conséquence, notre ami Elmer Food Beat revisitait en 2019 son tube en chantant « le plastique c’est dramatique » et il a malheureusement raison. Le plastique détruit notre planète avec sa faune et sa flore. Heureusement il n’y aura bientôt plus de pétrole pour faire plus de plastique…
Dans l’agriculture
C’est un autre domaine auquel on ne pense pas mais il ne faut pas le négliger. La fameuse « révolution verte » des années 60 ayant permis d’assurer l’autosuffisance alimentaire de l’Inde ne s’est pas faite sans effets néfastes. En effet, cette révolution verte indienne a consacré au sommet l’usage à outrance des engrais azotés et des pesticides tout en conservant quelques espèces à haut rendement seulement pour maximiser les rendements. Certes, il faut nourrir la population, mais encore faut-il le faire avec une vision à long terme, ce que ce modèle agricole, issu des États-Unis, n’assure pas. A titre d ‘exemple, aux États-Unis, pour nourrir un américain pendant une année, il faut utiliser 1800 litres de pétrole dont la répartition est la suivante (source) :
- 31 % pour la fabrication des engrais inorganiques
- 19 % pour les machines agricoles
- 16 % pour le transport
- 13 % pour l’irrigation
- 8 % pour élever le bétail (nourriture non incluse)
- 5 % pour sécher les récoltes
- 5 % pour la production des pesticides
- 8 % pour le reste

Donc l’agriculture mondiale sans pétrole va poser d’énormes problèmes. Les petites exploitations bio sont de moins en moins dépendantes du pétrole aujourd’hui mais quid des gigantesques fermes américaines, indiennes ou chinoises qui doivent nourrir plusieurs milliards d’êtres humains ? Ce sera sans doute un des plus grands challenges à relever dans le siècle, bien plus grave que les transports car on peut tout à fait vivre sans se déplacer alors que sans manger…
Après le pétrole ?
Trouver l’énergie du futur consiste à résoudre la quadrature du cercle car il faut remplir des critères qui ne sont pas nécessairement compatibles :
- Une énergie peu polluante en considérant son cycle complet: de la conception au démantèlement des installations nécessaires en incluant les rejets lors de sa consommation.
- Une énergie pérenne au vu des ressources disponibles.
- Une énergie peu chère et facile à produire qui doit pouvoir être accessible à tous sur la planète.
On peut déjà se débarrasser de toutes les énergies fossiles qui sont basées sur des ressources limitées sur Terre comme le pétrole (50 ans de réserve), le gaz naturel (50 ans de réserve), le charbon (130 ans réserve) et le nucléaire classique à l’uranium (130 ans de réserve).
Il faut donc trouver d’autres solutions, mais avant tout, il va falloir s’habituer à être plus humble face à la consommation d’énergie en général. Cela passe par les transports, l’alimentation, l’habillement, etc. Nous avons une planète avec des ressources limitée et nous sommes nombreux (peut être trop?) mais nous sommes aussi très intelligents (peut être trop également ?). La Terre peut nous fournir des énergies renouvelables (soleil, vent, marée, etc.) qui ne demandent qu’à être exploitées, alors allons-y ! Certes, cela ne suffira peut être pas pour assurer notre appétit actuel mais encore une fois, nous devons être moins gourmand.
Il existe plusieurs idées de technologies futures révolutionnaires pour faire de l’électricité de manière quasi-infinie comme l’exploitation de l’énergie de fusion thermonucléaire (comme dans les étoiles) mais la route risque d’être encore longue quand on voit aujourd’hui ITER qui tente de démontrer qu’on peut y arriver (voir ce billet de 2006 sur le sujet). Cependant, en tant que scientifique, je crois en ce projet de fusion, et si on avait mis autant de moyens dans la fusion que dans la fission après la seconde guère mondiale, cette technologie serait peut être déjà opérante. Il y a aussi la fission au thorium (au lieu de l’uranium) qui pourrait rallonger le nucléaire classique de plusieurs siècles (voir ce billet de 2016 sur le sujet) mais ce ne sera que partie remise encore une fois.
Cependant, l’électricité ne peut pas remplacer le pétrole pour tout. Dans le transport automobile, la voiture électrique commence certes à émerger (et encore, les batteries sont toujours basées sur des métaux non renouvelables) mais c’est autrement plus compliqué pour le transport maritime, l’aviation, l’agriculture et les plastiques en tout genre. On commence à trouver des alternatives mais pour le moment, aucune ne permet de remplacer le pétrole à très grande échelle. Il n’y aura sans doute pas un remplaçant unique mais une multitude de petites choses qui permettront de se passer de pétrole. Il y a donc de nombreux défis à relever et nos enfants ont du pain sur la planche, alors faisons tout pour les aider et leur préparer le terrain.
>De plus en plus, de nombreux spécialistes remettent en cause la théorie qui annonçait un « pic >de production » du pétrole suivi d’une hausse des prix sans précédent et amenant nos sociétés >vers un déclin rapide et apocalyptique.
Vous semblez ignorer que le prix du pétrole n’est PAS un bon indicateur de la baisse de la production du pétrole en volume.
Ni que le pic du pétrole conventionnel date officiellement de 2008.
La production mondiale de pétrole conventionnel (près des 3/4 de la production totale de pétrole) « a franchi un pic en 2008 à 69 millions de barils par jour (Mb/j), et a décliné depuis d’un peu plus de 2,5 Mb/j ». L’AIE estime que ce déclin ne sera pas interrompu (cf. World Energy Outlook 2018, p. 142)
Et que l’AIE dans son même rapport 2018 estime la date du pic pétrolier tous types de pétroles confondus entre 2025 et 2030.
Extrait du résumé aux décideurs : « Le risque de resserrement de l’offre est particulièrement prégnant pour le pétrole. Ces trois dernières années, le nombre moyen de nouveaux projets approuvés de production de pétrole conventionnel ne représente que la moitié du volume nécessaire pour équilibrer le marché jusqu’en 2025, compte tenu des perspectives de demande du scénario « Nouvelles politiques ». Il est peu probable que le pétrole de schiste prenne le relais à lui seul. Nos projections prévoient déjà un doublement de l’offre de pétrole de schiste américain d’ici 2025, mais celle-ci devrait plus que tripler pour compenser le manque persistant de nouveaux projets classiques. »
Source:
https://www.iea.org/weo2018/