C’est en lisant un des derniers billets des Quantum Diaries intitulé La face cachée du CERN que je me suis dit qu’un billet sur l’hadronthérapie serait un sujet très intéressant car prometteur et relativement peu connu du grand public.
La radiothérapie
La radiothérapie consiste à tuer les cellules cancéreuses d’un patient au moyen de radiations. L’idée de la radiothérapie consiste à exploiter le fait que les radiations peuvent détruire les cellules, quelles qu’elles soient. La difficulté est alors de détruire uniquement les cellules cancéreuses pour empêcher leur reproduction sans toucher aux cellules saines de manière à enrayer la maladie sans dommages collatéraux.
Il est à noter qu’aujourd’hui plus de la moitié des cancers sont traités à l’aide de la radiothérapie et que cette seule méthode peut entraîner une guérison complète avec des effets secondaires moindre qu’avec une chimiothérapie.
Les radiations peuvent être produites de 2 manières pour tuer les cellules cancéreuses :
- La curiethérapie : Un élément naturellement radioactif est introduit dans le patient ou est placé à proximité de la zone à traiter. Cette technique est utilisée principalement pour traiter les cancers du sein, de la prostate, de l’utérus et de la peau.
- La radiothérapie externe : Un accélérateur de particules produit un faisceau de particules dirigé vers le patient de manière à irradier les cellules tumorales. C’est cette dernière méthode qui nous intéresse ici.
La difficulté est la suivante : les tumeurs peuvent être situées à la périphérie du corps ou bien enfouies profondément à l’intérieur comme dans le cerveau. Dans ce dernier cas, il faut alors trouver un moyen d’irradier fortement les cellules tumorales à l’intérieur en abîmant le moins possible les tissus alentours. Pour évaluer l’efficacité des faisceaux de particules à tuer des cellules, on calcule l’énergie qu’ils déposent dans les tissus, c’est ce qu’on appelle aussi la dose, qui est proportionnelle aux radiations induites sur les tissus pour les détruire. Il existe alors plusieurs types de radiothérapies externes qui exploitent différents types de rayonnement:
- Faisceaux d’électrons : pénètrent faiblement dans les tissus et déposent toute leur dose quelques centimètres après le point d’entrée du faisceau dans le corps.
- Rayons X (photons) : peuvent pénétrer en profondeur dans les tissus mais l’énergie déposée est maximale quelques centimètres seulement après le point d’entrée et diminue ensuite faiblement. Ainsi la majorité des tissus (sains et cancéreux) situés dans l’axe du faisceau sont irradiés fortement ce qui implique de déposer une dose relativement faible sur les cellules cancéreuses pour ne pas trop irradier les tissus sains.
- Faisceaux de hadrons (protons ou ions carbones) : peuvent pénétrer en profondeur et une grande partie de l’énergie du faisceau est déposée une dizaine de centimètres après le point d’entrée du faisceau dans les tissus. De cette manière, la zone d’entrée du faisceau est peu irradiée, la zone où se situe la tumeur peut être fortement irradiée et la zone située derrière n’est pratiquement pas irradiée.
Dépôts d’énergie de différents faisceaux (électrons, rayons X, protons) en fonction de la profondeur dans les tissus.
L’hadronthérapie
L’hadronthérapie permet ainsi de tuer des cellules cancéreuses enfouies à l’intérieur du corps comme dans le cerveau sans chirurgie tout en préservant au maximum les cellules saines autour de la tumeur. Mais au fait, c’est quoi un hadron ?
Les hadrons sont une classe de particules sensibles à l’interaction forte, c’est-à-dire à la force qui permet la cohésion des noyaux atomiques. Toutes les particules constituées de quarks comme les protons, neutrons ou n’importe quel noyau atomique sont des hadrons (contrairement aux leptons et aux bosons comme les électrons et les photons, voir mon billet sur le bestiaire des particules pour plus de détails).
Les hadrons ont cette caractéristique de déposer toute leur énergie d’un coup après avoir traversé une certaine épaisseur de matière, c’est ce que les physiciens appellent le pic de Bragg (voir la courbe rouge dans le dessin plus haut). Grâce aux bonnes connaissances que l’homme a acquises sur le fonctionnement de ces particules il est capable de fabriquer des accélérateurs de particules ultra-précis permettant de déposer l’énergie de ces hadrons exactement sur une tumeur de quelques centimètres enfouie au milieu de notre corps. Tout ça pour dire que la recherche fondamentale en physique des particules est indispensable pour développer de telles thérapies et que de très nombreux laboratoires en physique des particules comme le CERN ou GSI collaborent étroitement avec les instituts médicaux pour développer de telles thérapies. Aujourd’hui 2 types d’hadronthérapie existent et une vingtaine de centres en sont équipés dans le monde:
- La protonthérapie qui utilise des protons. Plus de 30 centres sont opérationnels (à Orsay et à Nice pour la France), voir la liste ici.
- L’hadronthérapie qui utilise des ions carbones. 5 centres sont opérationnels en en Allemagne, en Chine et au Japon, et plusieurs autres centres sont en construction (à Caen et à Lyon pour la France). Les ions carbones sont encore plus précis que les protons et permettent de déposer des doses plus importantes sur les cellules tumorales permettant ainsi de vaincre les tumeurs les plus radiorésistantes.
Salle de contrôle du synchrocyclotron au Centre de Protonthérapie d’Orsay.
Ces centres ont permis de traiter environ 7000 personnes dans le monde ces dernières années contre plusieurs millions par radiothérapie conventionnelle. En effet, cette méthode est relativement récente et est également plus chère que les autres méthodes mais elle est surtout plus difficile à mettre en œuvre à cause des équipements très sophistiqués à mettre en place. Cependant, elle est beaucoup plus précise et permet de soigner des tumeurs qui sont inopérables et non curables par radiothérapies conventionnelles lorsque ces dernières sont localisées près d’organes sensibles. De plus, les hadrons sont beaucoup plus efficaces pour tuer les cellules cancéreuses que les photons, de 2 à 10 fois plus efficaces selon les cas.
L’hadronthérapie est principalement utilisée pour soigner les tumeurs du cerveau non atteignables par neurochirurgie, certains cancers de l’œil qui nécessitaient une énucléation auparavant (extraction de l’œil) et certains cancers chez les enfants qui sont plus sensibles aux radiations et donc plus fragiles face aux techniques de radiothérapies conventionnelles utilisant des rayons X.
Je vous conseille ce petit reportage de 4 minutes sur le centre de radiothérapie de Heidelberg qui est en étroite collaboration avec GSI à Darmstadt: http://www.allodocteurs.fr/actualite-sante-hadrontherapie-une-radiotherapie-specifique-2631.asp?1=1
Radiothérapie avec de l’antimatière ?
Des recherches sont actuellement en cours au CERN à Genève sur la possibilité d’utiliser de l’antimatière, des antiprotons plus exactement, pour traiter les cancers. Cette expérience dénommée ACE pour Antiproton Cell Experiment, étudie comment l’antimatière peut détruire les cellules cancéreuses par annihilation matière/antimatière. Actuellement, l’expérience bombarde des cellules vivantes de hamsters avec des protons puis avec des antiprotons (pour voir la différence), et il apparaît qu’une énergie 4 fois inférieure avec des antiprotons permet de détruire autant de cellules cancéreuses tout en diminuant significativement la dose déposée dans les tissus sains.
L’expérience ACE au CERN étudiant l’effet des antiprotons sur des cellules de hamsters. © CERN.
Si cette expérience est concluante, peut-être que de futurs partenariats permettraient de développer dans quelques décennies une « antiproton thérapie » permettant de soigner des cancers difficiles d’accès en irradiant encore moins les cellules saines autours des tumeurs.
Je ne connaissais pas ce phénomène du « pic de Bragg ». Intéressant ! Mais un peu contre-intuitif…J’ai eu quand même recours à la page wikipédia pour comprendre l’origine de la chose : le fait que la section efficace augmente quand l’énergie de la particule décroit. En tout cas très adapté pour l’usage que tu décris !
oui c’est vrai que ca peut paraitre contre intuitif à première vue mais pas forcément: Pour ceux qui ne savent pas ce qu’est une section efficace, c’est un peu comme la « taille » de la particule. Donc quand la particule va très vite (bcp d’énergie), elle passe à travers la matière sans laisser de trace car c’est comme si elle était toute petite et elle ne dépose pas bcp d’énergie alors que lorsqu’elle est plus lente, c’est comme si elle était plus « grosse » et elle est plus facilement « freiner » par la matière qu’elle traverse ce qui implique qu’elle dépose son énergie.