Ce week-end, le C@fé des Sciences était en déplacement pour visiter le laboratoire de recherche souterrain de Meuse/Haute-Marne piloté par l’Andra (l’Agence Nationale pour la gestion des Déchets RAdioactifs). En effet, depuis 2006, une loi votée par l’Assemblée Nationale et de Sénat (La loi du 28 juin 2006) donne à l’Andra la mission de concevoir et d’implanter le stockage qui accueillera les déchets nucléaires les plus toxiques.
Notre Guide Eric, à 500 mètres sous terre, nous fait un petit cours de géologie à 1h du matin.
Je vais essayer de vous relater ici notre visite qui a été extrêmement intéressante, particulièrement grâce à notre guide Eric, qui a su nous captiver et nous émerveiller tout en nous faisant prendre conscience de l’importance et de la difficulté d’un tel projet que l’on ne peut qualifier que d’ambitieux mais indispensable si l’on veut être responsable et continuer à dormir sur nos deux oreilles.
Les déchets concernés
En gros, on peut catégoriser deux grandes catégories de déchets nucléaires :
- Les déchets technologiques et de démantèlement : ce sont tous les matériaux qui ont été en contact avec des sources radioactives et qui ont été activés à leur tour comme les combinaisons, les gants, les outils, le béton environnant, les tuyaux, etc.
- Les déchets de combustibles dans lesquels on ne peut plus rien exploiter suite à la fission dans le réacteur puis au retraitement à la Hague.
Ici, on va s’intéresser seulement aux déchets de combustibles qualifiés de Haute Activité (HA) et de Moyenne Activité à Vie Longue (MA-VL). Ces déchets ne représentent que 3,2% du volume total des déchets mais 99,9 % de la radioactivité totale (et donc en gros de la dangerosité pour faire court). L’élimination totale du danger de certains déchets HA peut atteindre le million d’années à cause de certains éléments. Les 7 produits de fissions les plus longs à disparaitre sont par ordre d’abondance :
- Le césium 135, demi-vie de 2,3 millions d’années pour 3,45 %.
- Le zirconium 93, demi-vie de 1,53 million d’années pour 3,06 %.
- Le technétium 99, demi-vie de 211 100 ans pour 3,06 %.
- L’iode 129, demi-vie de 15,7 millions d’années pour 0,64 %.
- Le palladium 107, demi-vie de 6,5 millions d’années pour 0,09 %.
- L’étain 126, demi-vie de 100 000 ans pour 0,03 %.
- Le sélénium 79, demi-vie de 280 000 ans pour 0,025 %.
A noter qu’il existe aussi d’autres éléments lourds non fissionnés que l’on appelle les actinides mineurs comme l’américium ou le neptunium mais je n’en parlerai pas ici en détail.
Le labo de Bure
Le laboratoire de recherche souterrain de Meuse/Haute-Marne, ou « labo de Bure » pour les intimes, est situé à la frontière entre la Haute-Marne et la Meuse, à mi-chemin entre Troyes et Nancy. Il a pour objectif depuis 2000 d’étudier la formation géologique de cette région à environ 500 mètres sous terre. En effet, à cette profondeur se cache une couche d’argilite (mélange dargile et de quartz) de plus de 100 mètres d’épaisseur qui est particulièrement propice au stockage des déchets nucléaires à une échelle de temps avoisinant le million d’années pour plusieurs raisons:
- Couche crée il y a 150 millions d’années entre 2 couches de calcaire. On connait bien son histoire géologique sur une longue période et on peut extrapoler raisonnablement.
- Stabilité tectonique de la région évitant de déformer la roche et les déchets qui y sont stockés.
- Roche homogène, sans faille et sans surprise pour les forages.
- Bonne résistance à la compression (équivalent à du béton).
- Faible conductivité thermique pour éviter de chauffer les alentours avec les déchets radioactifs qui vont rayonner et donc chauffer pendant un bon moment.
- Roche plutôt bien imperméables dans laquelle l’eau se déplace très lentement et les déchets devraient donc rester au sec relativement longtemps mais inévitablement, sur plus de 100 000 ans, l’eau atteindra les déchets et il faut donc s’assurer que l’eau qui peut transporter des éléments radioactifs se déplace peu et que cela arrivera le plus tard possible.
Alvéole creusée dans une galerie visant à expérimenter comment la roche se comporte et se déforme après le creusement (c’est dans de telles alvéoles que les colis de déchets HA seront insérés en file indienne)
Aujourd’hui le laboratoire de Bure compte 1,5 kilomètres de galeries dans lesquelles 660 forages ont été réalisés et équipés avec plus de 3 000 capteurs fournissant plus de 7 000 points de mesure (pression, température, déformation, composition chimique, PH, etc.). L’idée consiste donc à valider un futur stockage profond des déchets nucléaires HA et MA-VL dans les environs. Des expérimentations dans ce laboratoire souterrain visent notamment à :
- Etudier l’eau contenue dans la roche, sa composition et ses déplacements.
- Comprendre comment la roche se comporte après des forages et creusements en tout genre. Eh oui, à cette profondeur, si vous faites un trou « rond » de plusieurs dizaine de mètres de long, en peu de temps, vous obtiendrez un trou « carré » à cause des contraintes de la roche sous pression.
- Etudier la conduction thermique dans la roche pour comprendre comment la chaleur se propage.
- Etudier la diffusion des éléments radioactifs dans la roche : un élément en forte concentration à un endroit à toujours tendance à se diffuser dans la matière environnante de manière à équilibrer les concentrations.
- Etudier comment le verre, l’acier et le béton se comportent dans la roche et dans l’eau sous haute pression car ce sont principalement ces 3 matériaux qui vont permettre de contenir les déchets le plus longtemps possible.
Expérience visant à analyser l’eau contenue dans la couche d’argilite
Vous l’aurez compris, ce laboratoire souterrain est unique en France et permet une analyse géologique, chimique et physique de cette couche d’argilite dans l’objectif d’y mettre nos déchets nucléaires pour longtemps, très longtemps…
Le projet Cigéo
Suite à la confirmation que ce site est propice au stockage, l’Andra a donc mis sur pied un projet pharaonique dénommé Cigéo pour stocker tous les déchets de combustibles HA et MA-VL produits jusqu’à présent ainsi que ceux qui seront produits jusqu’à la fin du parc nucléaire français actuel. On parle ainsi des déchets issus des 58 réacteurs nucléaires actuels plus le réacteur de Flamanville actuellement en construction.
Les déchets sont conditionnés sous forme de colis provenant principalement de la Hague. Un colis HA fait 180 litres et possède « seulement » 70 kg de déchets pour 420 kg d’emballage. Les déchets sont noyés dans une espèce de verre (vitrification) de manière à ce que les déchets soient noyés et dilués le plus possible pour s’assurer que la masse critique des éléments les plus lourds ne soit pas atteinte pour entamer une nouvelle réaction de fission. Les colis MA-VL contiennent quant à eux 550 kg de déchets pour 160 kg d’emballage. Le volume des colis pour Cigéo est estimé à 80 000 m3 (10 000 m3 de colis HA et 70 000 m3 de colis MA-VL), soit une vingtaine de piscines olympiques à enterrer à 500 mètres.
Un colis de déchet HA (Haute activité) : 180 litres pour 490 kg au total dont 70 kg de déchet
Une fois arrivés en Haute-Marne, les colis seront alors mis dans des conteneurs de stockage avant de descendre à 500 mètres de profondeur pour être stocker dans la couche d’argilite. Le volume à stocker avec les conteneurs sera ainsi de 380 000 m3 au total, soit un peu plus que la Tour Montparnasse à Paris… Au total, le site Cigéo couvrira environ 15 km2.
En termes de financement, ce sont les producteurs de déchets qui financent l’Andra à travers une « taxe recherche » depuis 2006 qui constitue une enveloppe de 118 millions d’euros annuelle. Ainsi, EDF est le premier contributeur avec 78% du total, puis le CEA avec 17% et enfin AREVA au titre de 5%.
Le projet Cigéo est évalué à environ 15 milliards d’euros par l’Andra sur 100 ans pour la construction, l’exploitation et la fermeture du site. Bien évidemment, ce genre d’exercice est toujours à considérer avec précaution dans ce genre de projet où les dépassements sont courants et inévitables. Cigéo peut en toute logique subir une explosion du coût selon les futures décisions politiques sur le nucléaire.
Selon l’ANDRA, pour un nouveau réacteur nucléaire sur l’ensemble de sa durée de fonctionnement, ce coût représente de l’ordre de 1 à 2 % du coût total de la production d’électricité qui est en principe reflété dans la facture d’électricité. A préciser que l’Andra prévoit environ 2000 emplois sur le site pendant 100 ans.
Au niveau du planning actuel :
- Cigéo devrait être autorisé par le conseil d’état vers 2018 après la validation des différents organismes français experts dans le domaine.
- 2019-2025 : Début du creusement
- 2025-2125 : un siècle de remplissage et de creusement en parallèle (exploitation). Les premier colis HA ne seront pas stockés avant 2075 car ils ne doivent pas dégager plus de 500W avant de descendre au fond (90 C en surface).
- 2125-2225 : au moins un siècle pendant lequel les déchets pourront toujours être récupérés. Cigéo intègre une clause de réversibilité du projet au cas où une meilleure solution s’offrirait à nous, la durée et les modalités de cette réversibilité ne sont pas encore arrêtées et demeurent encore un peu floues.
Prototype de la machine permettant d’insérer les colis dans les alvéoles et de les récupérer en cas de besoin.
Vous l’aurez compris, le projet est hautement complexe et fait interagir de nombreux domaines scientifiques comme la physique, la chimie, la géologie et tous les domaines de l’ingénieur sans parler des grandes questions sociétales, historiques et économiques qui en découlent. Cela parait réalisable en vue des compétences actuelles et du contexte économique mais nécessite encore certaines recherches pour s’assurer de la viabilité du projet sur une échelle de temps géologique.
Retenez que ce n’est pas parce qu’on est pour ou contre l’énergie nucléaire qu’il ne faut pas s’intéresser à la question du stockage des déchets. Cela permet de vraiment réfléchir à la problématique de cette énergie. Notre pays et nos prédécesseurs ont fait ce choix et nous devons assumer ces déchets qui existent aujourd’hui.
J’espère juste que la fusion nucléaire (voir mon billet de 2006 sur ITER) verra le jour à l’échelle industrielle le plus tôt possible (ça viendra forcement) et que la fission ne sera plus qu’un souvenir pour les générations futures qui n’auront pas ce problème de stockage à long terme.
Et si vous avez de meilleures idées, les commentaires sont là pour ça !
[…] Ce week-end, le C@fé des Sciences était en déplacement pour visiter le laboratoire de recherche souterrain de Meuse/Haute-Marne piloté par l’Andra (l’Agence Nationale pour la gestion des Déchets RAdioactifs). […]
Attention aux faux amis et à la mariée trop belle !
« Un projet que l’on ne peut qualifier que d’ambitieux mais indispensable si l’on veut être responsable » ?
Attention aux faux amis et à la mariée trop belles !
Parmi celles et ceux qui se sont plongés depuis des années dans ce projet :
http://www.catholique-troyes.cef.fr/spip/IMG/pdf/GESTION_DES_DECHETS_NUCLEAIRES_Document_integral.pdf
Est il pas possible que l on invente une capsule spatiale pour le diriger vers le soleil pour les detruires definitivement, ca couterait peut etre moins chere que de faire des centre de stockage ?
Bonjour Tof,
Envoyer des déchets radioactifs dans l’espace serait très coûteux et dangereux (risque d’explosion du lanceur). L’idée a vite été abandonnée…
Guillaume
Salut guillaume
Il me semble que l on maitrise la mise en orbite de sattelite ou de l envoie de sonde spatial, les explosions de lanceurs ca fait un baille qu on en a pas vu, c est dommage qu on ce penche pas plus sur la question au moins c est radical, les dechets seraient detruit avt meme qu il ne touche ca surface
pour l’instant, le coût serait tout simplement tel que la solution des déchets dans l’espace est actuellement irréalisable:
– le cout d’envoi d’un satellite est estimé à environ 20 000 $/kilogrammes et ça serait sans aucun doute BEAUCOUP plus cher encore pour envoyer des déchets radioactifs vers les soleil.
– si on considère les déchets de cigéo, il y a 80 000 m3 de colis (je ne considère pas les conteneurs), soit environ 217 777 777 de kilogrammes (200 milles tonnes)
– c est donc un coût d’au moins 4 355 555 555 555 $ (4 mille milliards de dollars).
La capsule est une bonne idée, mais le risque d’un accident au decollage est possible, avec des impacts non acceptables.
Vous laissez penser que la fusion est une énergie propre sans déchets. Ce n’est hélas pas vrai. La fusion telle qu’envisagée à ITER va génerer une quantité importante de déchets tritiés, ainsi que des matériaux activés.
Et j’apporte une petite correction : les déchets technologiques ne sont pas « activés » mais « contaminés » par des éléments radioactifs. L’activation est le phénomène physique qui rend radioactif un noyau atomique auparavant stable, par une réaction neutronique.
[…] a écrit un petit récit de la visite et Benjamin a décrit la problématique et le site retenu. Pour ma part je me suis intéressé à la composition et à l'évolution de la radioactivité des […]
[…] L’Andra : stocker les déchets nucléaires pour un million d’années par Benjamin Bradu. Il décrit la problématique des déchets radioactifs et le site retenu. […]
[…] L’Andra : stocker les déchets nucléaires pour un million d’années par Benjamin Bradu. Il décrit la problématique des déchets radioactifs et le site retenu. […]
[…] L’Andra: stocker les déchets nucléaires pour un million d’années par Benjamin sur La Science pour tous […]