Non ce n’est pas une fable de la Fontaine mais une épopée de la physique moderne : la traque d’une particule invisible par un accélérateur de particules de 27 km de circonférence…
Aujourd’hui à 14h, une conférence donnée au CERN par les 2 porte-paroles des expériences phares du LHC (ATLAS et CMS) faisait un résumé des résultats obtenus grâce à l’accélérateur de particules LHC lors de la campagne de collisions 2011. Je vais donc essayer de vous faire un résumé compréhensible de cette conférence à laquelle j’ai assisté cette après-midi.
Les résultats des 2 expériences indépendantes sont très similaires et indiquent deux grandes tendances:
- Le modèle standard de la physique des particules fonctionne comme prévu à 7 TeV (l’énergie maximale des collisions du LHC en 2011).
- Le boson de Higgs n’a plus beaucoup d’endroits où se cacher et il commencerait à montrer le bout de son nez vers une énergie de 125 GeV mais pas encore de quoi annoncer sa découverte.
Le modèle standard
Le modèle standard de la physique des particules est la théorie physique utilisée aujourd’hui pour décrire la matière et ses interactions. L’objectif des accélérateurs de particules est de tester cette théorie autant que possible pour voir si la nature est bien celle que les physiciens imaginent, voir ce billet que j’ai écrit il y a quelques mois à ce sujet.
Le LHC ouvre à présent une nouvelle gamme d’énergie encore jamais explorée par les accélérateurs et c’est pour cela que les physiciens sont un peu fébriles. Après plusieurs milliards de milliards de collisions effectuées et analysées durant cette année 2011, les particules se sont comportées comme la théorie le prévoit et le modèle standard se trouve ainsi conforté.
Le Boson de Higgs
Le boson de Higgs est une particule un peu à part dans ce modèle standard car elle permet d’expliquer la masse de toutes les autres particules, constituant ainsi la pierre angulaire de cette théorie. Le problème est que ce boson de Higgs a une section efficace extrêmement faible, ce qui signifie qu’il faut faire des milliards de milliards de collisions pour voir 1 seul boson de Higgs, ce qui explique entre autre pourquoi aucun accélérateur n’a encore été capable de le voir. Voir ce billet qui explique tout ça par rapport à la campagne de collisions du LHC en 2010.
De plus, les physiciens ne savent pas exactement quelle est la masse du Higgs, ou son énergie, rappelez-vous que masse et énergie sont équivalentes selon la relativité restreinte d’Einstein (E= mc²). Plusieurs théories existent et peuvent expliquer le boson de Higgs à différentes énergies mais pour trancher, il faut le « voir » et donc faire des expériences, ceci étant le but du LHC. Les accélérateurs vont donc balayer petit à petit des bandes d’énergies pour voir si le boson de Higgs se cache à l’intérieur.
Deux grands principes sont à garder à l’esprit:
- Plus l’énergie de la particule recherchée est importante, plus l’accélérateur doit être puissant.
- Plus la section efficace est petite, plus le nombre de collisions doit être important pour voir statistiquement la particule recherchée.
Le LHC essaye donc de faire le plus de collisions possible à des énergies les plus hautes possibles pour « voir » ce boson de Higgs.
Comment « voir » le Higgs ?
Le boson de Higgs n’est pas directement détectable car sa durée de vie est trop faible. On cherche donc des particules qui pourraient être issues de sa désintégration en d’autres particules. Selon la masse du Higgs (toujours inconnue), les schémas de désintégration sont différents les uns des autres. Dans le cas du LHC, on cherche un boson de Higgs ayant une masse comprise entre 115 GeV et 600 GeV car les accélérateurs précédents ont écarté un Higgs en dessous de 115 GeV, et au dessus de 600 GeV le modèle standard ne marche plus.
Au total, les expériences ATLAS et CMS balayent ainsi une dizaine de schémas de désintégration possibles pour le Higgs. Par exemple dans l’hypothèse d’un Higgs léger entre 110 et 150 GeV, il peut se désintégrer en 2 photons gamma émis dans 2 directions opposées.
C’est cette dernière désintégration qui semble aujourd’hui sortir un peu du lot suite aux observations faites par ATLAS et CMS. Mais encore une fois, pour être certain que les mesures sont fiables, il faut valider statistiquement les mesures accumulées ce qui nécessite une quantité de données absolument gigantesque tant l’évènement de voir un Higgs est rare.
Les 2 expériences ont vu se dessiner un pic dans les collisions analysées qui indiquerait que le boson de Higgs aurait une masse proche de 125 GeV, voir les graphiques ci-dessous. Pour lire ces graphiques, tant que la courbe noire (mesure) reste dans les bandes jaunes ou vertes, on ne peut rien dire car ces 2 courbes symbolisent l’incertitude des mesures. En revanche, dès que des données commencent à « sortir » de ces bandes, c’est que le Higgs pourrait se cacher à cet endroit.
Résultats préliminaires de ATLAS et CMS dans la recherche du Boson de Higgs dans l’hypothèse d’un boson de Higgs autour de 125 GeV issu d’une désintégration en 2 photons gamma.
Conclusion
Une tendance commence donc à apparaître pour un Higgs vers 125 GeV mais ce n’est pas encore assez pour certifier que le Higgs existe à cette énergie. Pour l’instant ATLAS estime la masse possible entre 116 GeV et 130 GeV et CMS entre 115 GeV et 127 GeV (les zones autour ont été exclues).
Pour valider ce résultat, il faudra accumuler encore plus de données pour voir si ce pic va être lissé ou bien s’accentuer, auquel cas l’existence du Higgs ne fera plus de doute. Si les attentes du CERN pour 2012 sont remplies, il y aura 4 fois plus de données à analyser dans un an et cette accumulation de collisions permettra de trancher la question du boson de Higgs avec 99% de certitude.
Fable à suivre…
Enfin, tout de même cette annonce reste un non-évènement : une « possible » détection à 3 sigma, c’est pas sérieux ! Pourquoi n’avoir pas attendu d’avoir plus de stat ?
Bonjour Guillaume,
Tu as raison quand tu parles de non-évènement puisque le Higgs n’a pas été trouvé pour l’instant (s’il existe). En revanche je tiens à répondre à ta question « pourquoi n’avoir pas attendu plus de stat ».
Chaque année, un peu avant Noël, le LHC s’arrête un peu plus de 2 mois pour la maintenance annuelle. A la fin de chaque campagne de collisions annuelle (entre avril et novembre cette année), chaque expérience annonce ses résultats annuelles comme un grand groupe annonce ses résultats financiers en fin d’année sauf qu’au CERN, notre objectif n’est pas de faire des bénéfices mais de faire des collisions et de faire avancer la Science. On a d’ailleurs retrouvé le même type de conférence fin 2010 (voir mon billet de l’année dernière).
Cette conférence était avant tout l’occasion de mentionner le très bon fonctionnement de la machine en 2011 avec un nombre de collisions effectué 5.7 fois supérieur à ce que nous attendions (5.7 femtobarn inverse pour ATLAS/CMSau lieu de 1femtobarn inverse prévu) avec des faisceaux stables pour les collisions pendant 23% du temps au long de l’année, ce qui est une très bonne performance pour une machine aussi complexe. De plus, les expériences majeures ATLAS et CMS ont exclu statistiquement le Higgs d’une grande bande d’énergie ce qui est en soi une grande avancé dans la recherche du Higgs. N’oublions pas que si le LHC démontre que le Higgs n’existe pas, ce sera une découverte au même titre car cela remettrait pas mal de chose en question.
Voilà, c’était tout simplement les résultats de l’année, voila donc pourquoi nous n’avons pas attendu plus longtemps car la machine redémarre en mars 2012 jusqu’à fin 2012. J’espère avoir répondu à ta question,
Cordialement,
Benjamin
Nous aurons je l’espère des résultats probant prochainement (d’ici 2013/2015) car sinon nous serions en voie de remettre en question le modèle standard..
N’hésitez pas à faire un tour sur mon blog qui traite de ce genre de sujets et, mais surtout, de débats politicoscientifiques:
http://la-science-appliquee.blogspot.com/
Cordialement,
[…] théorie mais toujours pas détectée, car les données n’étaient pas encore suffisantes (voir mon billet de l’année dernière). Ce 4 Juillet 2012, des milliards de milliards de collisions plus tard , […]
[…] théorie mais toujours pas détectée, car les données n’étaient pas encore suffisantes (voir mon billet de l’année dernière). Ce 4 Juillet 2012, des milliards de milliards de collisions plus tard , […]