Une histoire de vitrail de cathédrales
Lors d’une visite de cathédrale en région centre pendant mon enfance (oui, j’ai eu une enfance difficile), je me rappelle qu’on m’a expliqué que les vitraux étaient très vieux (genre XIIème siècle) et que la preuve était la suivante: le verre qui constitue le vitrail a coulé avec la gravité et les vitres sont plus épaisses en bas qu’en haut. Me rappelant cette anecdote, je vais chercher un peu sur le net et cette explication est finalement complètement erronée (la preuve ici dans ce papier paru dans l’American Journal of Physics en 1998). Ce papier permet de calculer le temps qu’il faut au verre pour couler (ce qu’on appelle le temps de relaxation) après l’étude chimique des verres employés aux temps des cathédrales. Dans les vitraux du 12ème siècle, il faudrait compter plusieurs milliards d’années avant de voir le verre couler ! Ça serait physiquement possible en « seulement » 800 ans mais avec une température moyenne de 400 degrés ! En fait, c’est la méthode de fabrication de l’époque qui ne permettait pas la fabrication de vitraux « plats » mais plus épais d’un côté. Le coté le plus épais était donc naturellement placé en bas pour des questions de stabilité du vitrail.
Verre : Solide ou liquide ?
OK, le verre peut donc quand même couler mais dans des temps très longs à température ambiante. Mais au fait, le verre, c’est un liquide ou un solide ? Physiquement parlant, le verre est un solide amorphe : c’est un solide car il possède un volume et une forme propre mais il est qualifié de amorphe car ses atomes ne sont pas structurés de manière organisée à moyenne et à grande échelle, contrairement aux solides cristallisés qui nous sont plus familiers comme les métaux, la neige, le sucre, etc. En fait, cette question est tout de même encore débattue par certains scientifiques mais la communauté considère bien le verre comme un solide, même s’il possède la structure atomique désorganisée d’un liquide.
Transition vitreuse
Pour comprendre la confusion des thermodynamiciens sur l’état du verre, il faut regarder comment le verre est fabriqué :
- On prend de l’oxyde de silicium (constituant du sable) avec un fondant (qui permet d’abaisser la température fusion) et on les fait fondre à haute température (environ 1300 C) : ces composés sont alors sous forme liquide.
- On procède ensuite à un refroidissement extrêmement rapide de ce liquide de manière à passer le point de fusion très vite et à ne pas laisser le temps aux atomes de se cristalliser pour former un solide classique, on obtient alors un liquide surfondu.
- Si on abaisse encore la température mais cette fois-ci doucement, on obtient un « verre » à partir de la « température de transition vitreuse » où la viscosité augmente alors brutalement pour former un solide amorphe.
Le cristal… de verre
Nous venons de voir que par définition, le verre est un solide amorphe, ce qui est l’opposé d’un cristal. Mais alors, comment peut-on fabriquer des verres (à boire) et des carafes en cristal ? Eh bien c’est tout bonnement impossible ! Le mot « cristal » est ici un abus de langage (au sens du physicien) car la structure atomique du « cristal de verre » n’est pas un cristal mais bien un verre !
En fait, le cristal de verre est un verre dans lequel il y a au moins 24% de plomb (on parle même de cristal supérieur quand la proportion de plomb dépasse les 30% de la masse totale). C’est pour cela que les verres en cristal sont si lourds ! En effet, le plomb a de nombreux avantages dans la fabrication du verre : il permet d’abaisser la température de fusion du verre et donc permet un travail plus facile car plus malléable pendant plus de temps. De plus, le cristal de verre possède un bel éclat à cause de son indice de réfraction important ainsi qu’une sonorité cristalline.
Autre chose de très important : ne jamais boire de coca ayant été conservé dans une carafe en cristal, ça peut être mortel ou rendre votre enfant débile (je ne rigole pas). En effet, les liquides acides (comme le coca et les alcools) peuvent devenir toxiques s’ils sont conservés dans une carafe en cristal ayant peu servi car ils se chargent en plomb jusqu’à des niveaux toxiques et on peut alors en ingérer avec tous les problèmes que cela peut occasionner comme le saturnisme. Il y a même de nombreuses personnes qui pensent que la goutte qui est observée dans la bourgeoisie européenne et nord-américaines serait en fait du saturnisme chronique (qui présente les mêmes symptomes) à cause de leur consommation régulière d’alcool dans des carafes en cristal (voir cet article du American Journal of Medecine par exemple).
Mais bon, si les carafes sont utilisées seulement quelques heures et qu’elles sont bien nettoyées, ça ne pose pas de problème et les carafes en cristal modernes sont souvent pourvues d’une couche protectrice à l’intérieur pour justement éviter de contaminer en plomb les liquides qui s’y trouvent.
Du cristal dans les détecteurs de particules ?
On m’avait déjà trompé dans mon enfance avec les vitraux de cathédrales et maintenant, à l’âge adulte, on me trompe encore dans les détecteurs de particules ! J’ai entendu au CERN que le détecteur de particules CMS détectait dans le LHC certaines particules à l’aide de cristaux de « verre au plomb ». Effectivement, on peut voir ces espèces de lingots de verre, extrêmement lourds, installés dans le détecteur. Eh bien c’est encore faux ! Ces cristaux sont de vrais cristaux au sens physique du terme, avec une structure atomique bien ordonnée, et ce ne sont absolument pas des verres !
En fait, ces cristaux « plombés » permettent de freiner certaines particules et donc de mesurer leur énergie (on parle de calorimètres). Par exemple, le détecteur de particules CMS au CERN possède 80 000 cristaux de tungstate de plomb (PbWO4) pour mesurer l’énergie des particules sensibles à la force électromagnétique comme les photons et électrons. A leur passage dans ces cristaux, les électrons et photons scintillent et génèrent de la lumière de manière proportionnelle à leur énergie et cette lumière générée est ensuite transformée en signal électrique. Ce signal est alors amplifié pour être par la suite traité informatiquement de manière à recalculer avec une très grande précision l’énergie de la particule qui a traversé le cristal (mais pour que ça marche, il faut contrôler la température du cristal au dixième de degré, ce qui n’est pas super facile).
Au total, il a fallu plus de 10 ans aux scientifiques et ingénieurs pour fabriquer ces 80 000 cristaux aux propriétés très spéciales dans une ancienne base militaire russe ainsi que dans un institut chinois à Shanghai. Imaginez que la densité de ces cristaux est de 8,3 tonnes par m3, soit plus que de l’acier (7,8 tonnes par m3) !! Chaque petit cristal pèse 1,5 kg alors que son volume est analogue à une petite tasse à café (parallélépipède de 2,2 cm de côté et 23 cm de long).
Cristaux de tungstate de plomb utilisés dans le détecteur CMS (et ce n’est pas du verre !)
Des particules plus rapides que la lumière dans le verre au plomb
En revanche, il est vrai qu’il existe bel et bien des détecteurs de particules utilisant du verre au plomb pour détecter des particules énergétique comme les muons. Ces verres au plomb ont également une grande densité (plus de 6 tonnes par m3) et quand des muons ultra-relativistes (qui vont presque aussi vite que la lumière) traversent du verre au plomb, ils sont beaucoup moins freinés que les photons de lumière et vont alors plus vite que la lumière dans le verre au plomb (mais attention, en aucun cas ils ne dépassent la vitesse de la lumière dans le vide). Ce faisant, un cône de lumière bleue est émis le long de la trajectoire de ces muons qui dépassent la vitesse des photons, c’est ce qu’on appelle l’effet Tcherenkov. C’est le même effet qu’on peut observer dans les piscines de stockage des déchets radioactifs dans les centrales nucléaires où une belle lumière bleue est émise du fait que plusieurs particules vont plus vites que les photons dans l’eau de la piscine.
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Après les petits toutous … Les verres à vin … Bas bravo !
salut Pedro, il faut bien se diversifier !