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L’eau chaude gèle avant l’eau froide : l’effet Mpemba

Alors que j’étais en train de lire un livre au coin du feu dans le canapé (Impasciences de J-M. Lévy-Leblond que je vous conseille en passant), j’apprends que si on place un verre d’eau à 50 C et un verre d’eau à 20 C dans le congélateur, le verre d’eau initialement à 50 C gèle avant celui à 20 C ! Je questionne alors ma voisine de canapé, ma belle-sœur (qui est autant physicienne que je suis trapéziste volant), à ce sujet qui me répond sans ciller que évidemment, l’eau chaude gèle avant, et que tout le monde sait cela. J’étais abasourdi de cette révélation alors que je n’en avais jamais entendu parler, moi, ayant fait une bonne partie de mon doctorat en thermodynamique ! Je m’indigne de cet effet en contradiction totale avec mon intuition ainsi qu’avec mon raisonnement scientifique. Je vais alors consulter sur Wikipédia l’effet Mpemba, qui stipule que l’eau chaude peut geler avant l’eau froide. Ce serait donc vrai… C’est même connu depuis l’Antiquité et redécouvert plus « scientifiquement » en 1963 par un lycéen nommé E.B. Mpemba en Tanzanie.

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Refroidissement et solidification de 30mL d’eau déminéralisée dans un bécher en verre non couvert et non agité

Expérience à la maison

Je m’empare alors de trois verres que je remplis avec 60 g d’eau à 21 C, 31 C, et 53 C (mesurés avec un thermomètre infrarouge). Je les mets au congélateur sur le même étage et je mesure les températures des 3 verres toutes les 5 minutes. Verdict : pas d’effet Mpemba, c’est clairement le verre initialement à 21 C qui gèle, puis celui à 31 C, puis celui à 53 C, les 3 courbes ne se sont pas croisées. Mystère, ça n’a pas marché avec moi…

glaciation

Explications scientifiques

Je cherche alors un peu partout une explication scientifique de l’effet Mpemba et là abomination : personne ne sait vraiment pourquoi et en plus ça n’arrive pas à tous les coups, ça a même l’air difficilement reproductible selon les expériences mais ça a néanmoins été abondamment observé. Ce phénomène reste donc inexpliqué aujourd’hui ! Les scientifiques s’étant penchés sur la question sont tous d’accord pour dire que c’est sans doute un agglomérat de phénomènes interagissant les uns avec les autres qui se produisent dans cette expérience simple beaucoup plus compliquée qu’il n’y parait. Sont en cause :

  • Les conditions expérimentales : Dans un congélateur domestique, la température n’est ni constante ni uniforme à l’intérieur. De plus, la composition de l’eau varie et la température initiale du récipient ainsi que sa nature ont leur importance. La température du congélateur est aussi un facteur important à prendre en compte.
  • L’évaporation de l’eau chaude et donc la perte de masse mais non satisfaisant comme explication car même sur des récipients fermés hermétiquement on peut observer le phénomène et après pesage de la masse perdue, ça ne justifie pas cet effet.
  • Les gaz dissous dans l’eau chaude changent ses propriétés comme la conductivité thermique ou la capacité calorifique (chaleur à extraire d’un kilogramme d’eau pour la refroidir de un degré). Cependant, même en préchauffant l’eau à l’avance de manière à obtenir la même composition de gaz dissous, l’effet Mpembra perdure.
  • La surfusion de l’eau: l’eau peut geler bien en dessous des 0 C à pression atmosphérique dans certaines conditions (jusqu’ à -39 C !). De plus, la présence de gaz dissous renforce cet effet. Le passage entre la surfusion et l’état solide a lieu si des poussières tombent dans l’eau ou si des cristaux de glace se forment : processus très aléatoire difficilement reproductible.

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Différence de surfusion (et donc de temps pour geler) entre différents échantillons d’eau contenus dans des bouteilles ayant la même température initiale. La courbe bleue foncée en bas représente la température du congélateur.

  • Les courants de convection plus prononcés dans l’eau chaude accélèrent les échanges de chaleur et donc le refroidissement. La profondeur du récipient ainsi que le gradient de température sont des éléments significatifs à prendre en compte également dans les phénomènes convectifs.

Interprétations

Dans tous les cas, la raison scientifique dit que de l’eau à 50 C passe forcément par de l’eau à 20 C avant de geler car le refroidissement est un processus continu donc on retombe sur la même condition qu’avec le verre à 20 C à un temps postérieur. Il y a donc 2 solutions plausibles à cette observation :

  • Le processus de refroidissement de l’eau est très complexe comme l’eau est composée de nombreux éléments et que de nombreux phénomènes physiques rentrent en jeu (convection et surfusion). Le phénomène est donc non reproductible facilement, ce pour quoi on observe parfois que l’eau chaude gèle avant l’eau froide. Je n’ai malheureusement pas de trouver des statistiques sérieuses à ce sujet.
  • L’eau subit une transformation lorsqu’elle est chauffée, ce pour quoi l’eau chaude refroidie rapidement à 20 C n’a pas les  mêmes propriétés que l’eau à 20 C du robinet. Là encore, difficile de trouver des explications.

Quand on regarde de plus près les nombreuses expériences faites pour trouver la cause majeure expliquant l’effet Mpemba, on découvre que la convection a clairement un rôle important : lorsque que l’eau est mélangée constamment pendant le refroidissement, l’influence des différences de convection est très réduite et on observe que l’effet Mpemba est grandement diminuée           (quasiment plus de différence entre de l’eau initialement à 20 C ou 35 C) mais néanmoins possible donc ce n’est pas la seule cause.

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Refroidissement et solidification de 30mL d’eau déminéralisée dans un bécher en verre non couvert et agité continuellement

Vient ensuite la surfusion de l’eau qui peut faire pencher la balance : une surfusion entre 0 C et -6 C (assez courant lors des expériences) entraine un retard de gèle d’environ 10 minutes par rapport à de l’eau qui gèle directement à 0 C, ce qui fait que les expériences sont peu reproductibles et que l’effet Mpemba n’est pas toujours observable. Même avec deux échantillons d’eau provenant de la même bouteille, on observe que la surfusion est différente. Cependant, pourquoi de l’eau initialement à 35 C aurait une surfusion plus prononcée qu’une eau initialement à 20 C ?? Je n’ai pas non plus réussi a trouver une bonne explication à cela.

Si jamais vous avez plus d’info sur ce sujet, n’hésitez pas à le signaler en commentaires.

Sources

About the author

La science pour tous

Ingénieur au CERN (Organisation Européenne pour le Recherche Nucléaire) à Genève, Suisse.

10 Comments

  • Salut Benjamin 🙂
    À mon avis, ta belle-soeur écoute Podcast Science 😉 Il faut te mettre à la page! http://www.podcastscience.fm/quizz-info-ou-intox/2013/03/08/leau-froide-gele-plus-vite-que-leau-chaude-info-ou-intox/
    Dr Goulu avait mentionné de nouvelles pistes explicatives dans les commentaires, avec les liens. (Malheureusement toujours pas eu le temps de m’y pencher, depuis des mois pourtant 🙁 ).
    J’espère que tu y trouveras ton bonheur.
    Bravo à Noémie pour les dessins. Juste géniaux 🙂
    À Bientôt!
    Alan

    • Sans doute, je n avais pas vu que vous aviez deja traité le sujet, ouarf… Moi aussi j aimerai me plonger plus a fond dans ce probleme mais le temps manque 🙂

  • Comme toujours, un très bon texte.

    Je suis aussi dans la thermodynamique et plutôt dans les échanges thermiques. C’est pour ce raison que le problème m’intéresse. Dans un laboratoire en Stockholm, où je travaillais dans les années 80, nous avons fait l’expérience avec des plats contentait la même quantité d’eau mais chaude et froide placé à l’extérieure en hiver. Rien de remarquable ne se produisait, l’eau froide a gelé avant l’eau chaude.

    Voici une piste que je pense mérite d’être examiné. Dans certains congélateurs le plateau est aussi l’évaporateur. Dans ce cas les transfères thermiques ont 3 différentes dispositions, convection, évaporation + conduction.

    Si le plateau est couvert de givre, le coupe avec l’eau chaude devrait fondre un trou plus important que le coupe avec l’eau chaude et donc augmenter la contribution de conduction. Évidemment c’est une spéculation.

  • On ne s’ennuie pas à Yellowknife, dans le Nord-Ouest du Canada lors des journées glaciales. Certains sortent même avec la bouilloire par -30°C pour réaliser une petite expérience scientifique : lancer en l’air de l’eau bouillante.

  • Pour les faignants qui n’aiment pas lire (et les non-thermodynamiciens), j’ai réalisé une petite vidéo explicative de l’effet Mpemba (https://www.youtube.com/watch?v=HeaXaYgOTUk).
    Rien de plus que ce que vous avez déjà dit mais bon je lis souvent vos articles et c’est la première fois qu’on traite le même sujet en même temps du coup j’en profite 🙂 D’ailleurs, n’hésitez pas à me dire ce que vous pensez de ces vidéos…
    Merci d’avance et bonne continuation à vous 🙂

  • Le phénomène de surfusion est très lié à la formation de verres qui sont d’une certaine manière des liquides surfondus figés. D’autre part, ce phénomène permet partiellement d’expliquer pourquoi l’eau très froide mise au congélateur est plus lente à geler que l’eau tiède (voir effet Mpemba ).

  • un verre contient un volume d’eau chaude,disons .. chauffée,donc dilatée. L’autre verre contient le meme volume,d’eau froide,donc…contractée! Bien sur,celui qui contient le moins d’eau,,c’est le chaud.. et,si vous n’avez pas compris, un litre chaud gelera plus vite que 2 litres froids. ya pas d’miracle.

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