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Les carottes de glace

Question: comment les scientifiques arrivent-il à reconstituer la composition de l’atmosphère terrestre ainsi que sa température lors du dernier million d’années ?

La discipline qui s’intéresse à cette question s’appelle la paléoclimatologie et comporte de très nombreuses méthodes pour y répondre. L’une d’entre elle consiste à analyser la glace des profondeurs du Groenland et de l’Antarctique en extrayant des carottes de glace.

carotte_lapin En astrophysique on dit que regarder loin dans l’espace revient à regarder loin dans le temps à cause de la vitesse finie de la lumière. En glaciologie, c’est un peu différent : c’est en regardant plus profondément dans la glace que l’on regarde plus loin dans le temps… En effet, au fil des ans, la neige qui tombe se dépose sur la neige plus ancienne qui se transforme alors en glace en emprisonnant de nombreux gaz de l’atmosphère. L’analyse de ces gaz permet ainsi de remonter le temps en déduisant la composition de l’atmosphère au moment où les petites bulles d’air ont été emprisonnées.

cnrs_carotteProjet Aurora Basin North, Antarctique, décembre 2013-janvier 2014. À partir d’un forage de 115 mètres, Jérôme Chappellaz (à droite) et David Etheridge effectuent un prélèvement d’air dans le névé, cet amas de neige qui tend à se durcir et qui se trouve à l’origine d’un glacier. (source).

Le carottage

On fait des carottages depuis les années 50 grâce au glaciologue français Claude Lorius qui a eu cette idée en regardant un glaçon fondre dans son verre whisky lors d’une mission en Antarctique… Pour faire un carottage, il « suffit » de faire un trou dans la glace avec une foreuse et d’en extraire une « carotte » de glace d’une dizaine de centimètres de diamètre. Cette carotte est découpée en tronçons plus ou moins longs pour la transporter dans un frigo vers un laboratoire de glaciologie pour analyse des gaz qu’elle contient. Facile à dire comme ça, mais c’est tout un art de faire des carottes et de les stocker correctement.

Le laboratoire national américain des carottes de glace (NICL) est un centre pour entreposer, nettoyer et étudier les carottes de glaces. NSF Source: http://icecores.org

Le plus grand carottage actuel fait 3,2 kilomètres de profondeur en Antarctique, ce qui correspond à 740 000 ans de données, soit 8 cycles glaciaires ! Il a été réalisé dans le cadre du projet européen EPICA (European Project for Ice Coring in Antarctica), et permettra de recouper les données d’autres forages de profondeurs similaires au Groenland (projets GRIP et GISP2).

Une tête de perceuse pour réaliser les carottages. NSF Source : http://icecores.org

Déduire la température du passé

Pour retrouver la température qu’il faisait lors de la formation de la glace de la carotte, on utilise ce qu’on appelle un thermomètre isotopique mais ce dernier n’a pas grand-chose à voir avec un thermomètre au sens commun…

Cette méthode exploite le fait que plus il fait froid et moins l’eau possède des atomes lourds. On apprend à l’école que l’eau est constituée de 2 atomes d’hydrogène liés à un atome d’oxygène (H2O). C’est vrai mais les atomes peuvent être plus ou moins lourds, c’est ce qu’on appelle les isotopes d’un atome, car ces derniers peuvent comporter plus ou moins de neutrons dans leur noyau. Bref, l’oxygène de l’eau peut posséder 8 ou 10 neutrons et l’hydrogène 0 ou 1 neutron.  Donc, plus il fait froid et moins l’eau possède d’oxygène et d’hydrogène « lourd » (oxygène-18 et deutérium). En mesurant la teneur de ces différents isotopes dans la glace, le chercheur arrive ainsi à retrouver précisément la température qu’il faisait lorsque l’eau a gelé.

018-TempConcentration en oxygène-18 selon la température de surface (source : Jean Jouzel 1987)

Cependant, on utilise aussi un thermomètre  «classique » pour mesurer la température le long du trou de forage. Ce profil de température permet aux chercheurs de calibrer le thermomètre isotopique car ce dernier possède une erreur. Comme la température le long du forage doit évoluer de la même manière que la température de l’époque, on peut corriger la mesure du thermomètre isotopique mais pour cela il faut résoudre un problème inverse. En effet, les chercheurs possèdent un assez bon modèle qui explique comment la chaleur se propage dans la glace et donc comment la température va se répartir dans le temps à travers la glace. Le souci est qu’ici on connaît le résultat de ce modèle (la température dans la glace aujourd’hui après des milliers d’années dans chaque couche du forage) mais on ne connaît pas la donnée d’origine (la température initiale dans chaque couche de glace). Pour résoudre de tels problèmes inverses, les glaciologues doivent donc travailler avec des mathématiciens, des chercheurs en traitement du signal et des automaticiens qui sont familiers de ce genre de problèmes. Et ce qui est merveilleux, c’est que ça marche et que ce genre de corrections est même indispensable pour obtenir une bonne précision. De cette manière, les paléo-climatologues ont pu calculer avec une bonne estimation la température qu’il faisait sur Terre lors des derniers 800 000 ans.

Reconstruire l’atmosphère d’antan

Maintenant que vous savez comment les chercheurs déduisent la température du passé grâce aux carottes de glace, voyons comment on peut également retracer l’évolution des différents gaz constituant l’atmosphère terrestre, toujours avec les carottes. Tout d’abord, il faut bien comprendre comment la neige se dépose sur les anciennes couches et comment cette dernière se tasse et se transforme en glace.

Entre la neige fraiche qui tombe et la glace où les bulles de gaz sont emprisonnées, il y a une zone de transition appelée « névé ». Cette couche fait entre 50 mètres (au Groenland) et 120 mètres (en Antarctique) et dans cette couche, les bulles de gaz peuvent se déplacer soit par convection dans sa partie haute (due aux différences de températures et aux vents de surface), soit par diffusion dans sa partie basse (les molécules de gaz les plus lourdes migrent vers le froid en bas et les plus légères vers le chaud en haut), voir la figure ci-dessous.

neve_profilProfil d’un névé qui se situe entre la neige fraiche qui s’accumule à la surface et la glace en profondeur. (Source: Sowers 1992).

Les chercheurs sont donc une fois de plus amenés à résoudre un problème inverse car ils mesurent aujourd’hui la concentration des gaz dans la glace et doivent déduire quelle était la concentration des différents gaz à la date où la neige est tombée, en considérant toute la période de névé pendant laquelle les gaz ont pu se déplacer. Le problème est très compliqué car le gaz contenu dans une bulle emprisonnée peut donc provenir de différentes époques… C’est effectivement un vrai casse-tête et il existe plusieurs modèles pour rendre compte de tous ces phénomènes plus ou moins compliqués. De plus, les chercheurs s’intéressent à de nombreux gaz pour reconstruire le climat (le méthane, le CO2, l’oxygène, les CFC, etc.) et les modèles doivent donc aussi incorporer de la chimie et sont donc d’autant plus compliqués, surtout pour les inverser et les résoudre dans un temps raisonnable.

Encore une chose, pour corriger et ajuster tous les calculs, les glaciologues peuvent avoir recours à des contraintes chronologiques pour forcer une certaine couche de glace à une certaine période comme lors des grandes éruptions volcaniques ou lors de phénomènes astronomiques influençant le climat. Par exemple, il existe un pic de Bérilium-10 à environ 41 000 ans car à cette époque, la Terre a connu un très faible champ magnétique et ce phénomène a eu pour effet de laisser passer de nombreux isotopes venus du cosmos sur Terre comme le bérilium-10. On retrouve ce pic dans les différentes carottes de glace et c’est comme cela que les chercheurs « forcent » leur modèle pour obtenir cet âge à la profondeur correspondante (740 m dans le forage EPICA en Antarctique par exemple).

Les autres méthodes de la paléoclimatologie

Les carottes de glace ne sont pas l’unique méthode pour reconstituer le climat du passé. Les chercheurs ont aussi recours à la dendroclimatologie (analyse des arbres et plus particulièrement de leurs cernes), à la sclérochronologie (analyse des coraux et coquillages) ainsi que l’analyse de tous les fossiles de faune et de flore et des sédiments qui donnent de précieux indicateurs du climat. Toutes ces méthodes peuvent ensuite être comparées et combinées pour permettre de reconstituer le scénario le plus probable de notre climat passé.

All_palaeotempsReconstitution de la température moyenne sur Terre pendant les 500 derniers millions d’années. Les données jusqu’à 800 000 ans viennent des carottes de glace. Source Wikipedia.

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La science pour tous

Ingénieur au CERN (Organisation Européenne pour le Recherche Nucléaire) à Genève, Suisse.

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