Thermo/Energie Environnement

Les énergies renouvelables : quels chiffres croire ?

Nos sociétés fonctionnent de plus en plus avec des nombres pour prendre des décisions et suivre les affaires courantes. C’est d’ailleurs une des critiques récurrentes de nos grosses entreprises ou institutions de plus en plus technocrates. Comprendre les chiffres et les manipuler avec prudences doit faire partie intégrante de l’enseignement dans notre école de la République pour former les citoyens de demain.

Selon les sources et les intérêts personnels des différents auteurs, les chiffres peuvent être facilement manipulés pour induire en erreur. Essayons donc de faire le point (désolé mais il va falloir faire un peu de math aussi).

Les pourcentages

Je pense que les pourcentages (%) sont la plus vicieuse des notions mathématiques que le grand public, les médias, les banquiers, les commerçants, les politiques et les scientifiques utilisent. Il faut toujours garder à l’esprit de quoi on parle dans un pourcentage car c’est un chiffre relatif qui peut se référer suivant les cas à :

  • une catégorie extrêmement précise ;
  • une date ou une période plus ou moins longue ;
  • un ensemble géographique ;

Il n’est pas rare de voir dans le même paragraphe d’un article des chiffres sur un même sujet mais sur des catégories légèrement différentes (ex : « la production électrique » ou « la puissance électrique installée »), ou alors de différentes périodes paraissant proches mais lors d’une fluctuation locale ou encore dans des endroits légèrement différents (ex : « France » ou « France métropolitaine »), ce qui peut entrainer de fausses conclusions.

Les unités

Quand on utilise des chiffres, il y a généralement une unité physique associée. Quand vous ne comprenez pas ces unités, renseignez-vous (Wikipédia par exemple). Voici un exemple d’unités utilisées dans le secteur de l’énergie :

Les énergies sont des puissances intégrées sur une période donnée. Parfois on parle en Joule (J), d’autres fois en kilowattheure (kWh), ou encore en tonne d’équivalent pétrole (tep). Pourquoi ? L’unité physique officielle est bien le Joule mais un joule c’est tout petit, alors pour plus de commodité dans le domaine de l’énergie, on en utilise d’autres.

L’unité la plus utilisée en énergie est la tonne d’équivalent pétrole, ou « tep », car le pétrole constitue toujours aujourd’hui la première source d’énergie dans le monde. Une tep correspond à la quantité d’énergie que peut fournir une tonne de pétrole, soit environ 42 milliards de Joules (42 GJ).

Avec l’électricité, on en utilise encore une autre le « Wattheure », qui correspond à l’énergie électrique consommée pendant une heure avec une puissance constante de 1 Watt (soit 1 Joule par seconde). Donc on obtient 1 Wh = 3600 Joules. Si vous parler en « kilowattheure », c’est mille fois plus, et si vous parler en « Mégawattheure », c’est un million de fois plus.

Notre cas d’étude

Selon la loi de transition énergétique pour la croissance verte du 17 aout 2015, la France doit « porter la part des énergies renouvelables à 23 % de la consommation finale brute d’énergie en 2020 et à 32 % de la consommation finale brute d’énergie en 2030 ».

Dans ce billet, on va prendre comme cas d’étude l’éolien et le photovoltaïque en France (deux sources d’énergie électrique renouvelables). J’aimerais bien connaitre les chiffres pour que ces deux énergies permettent de satisfaire l’objectif fixé par cette loi pour 2030 si jamais notre consommation reste constante ainsi que les autres énergies renouvelables. Voilà donc mes questions :

  1. Quel est le pourcentage des énergies renouvelables dans la consommation d’énergie en France aujourd’hui ?
  2. Quel est le pourcentage de l’éolien et du photovoltaïque au sein des énergies renouvelables en France aujourd’hui ?
  3. Quelle augmentation annuelle doit-on viser sur l’éolien et le photovoltaïque pour satisfaire les 32 % de renouvelable en 2030 si les autres énergies renouvelables restent constantes ?

Maintenant, essayons de répondre à ces trois questions.

1)   La part des énergies renouvelables en France

Un internaute regardant sur internet peut tout à fait tomber sur ce genre de graphique, issu d’un site officiel tout à fait respectable et en qui on peut faire confiance, le site du ministère de l’écologie :

Graphique issu du site du ministère de l’écologie (source : RTE).

Quand on voit ce graphique, on se dit, « trop bien, en 2016, 35 % de renouvelable déjà dans notre énergie en France ». Eh bien non, pas du tout, et pour deux raisons :

  • Si on parle d’énergie dans le langage commun, on fait généralement référence à la « consommation finale brute d’énergie » alors que ce graphique représente la puissance électrique installée qui représente seulement 25 % de l’énergie consommée en France (eh oui, l’essence dans les voitures n’est pas comptée dans ce camembert…).
  • De plus, ce graphique représente la part des énergies dans le « parc français », ce qui signifie que ce sont les puissances électriques installées, pas forcément mobilisables toute l’année et en toute heure. Par exemple, pour le photovoltaïque (les panneaux solaires), nous avons un parc de 9,6 GW (8% du parc total) mais ce parc ne fonctionne pas la nuit ou lorsqu’il y a trop peu de soleil. La production annuelle du solaire ne représente ainsi que seulement 2% de la production ! Pour une meilleure comparaison, il est donc préférable de parler d’énergie de production (ou de consommation) et pas de puissance installée (le parc), car la plupart des moyens de production sont intermittents. Souvenez-vous en.

Mais alors, quelle est la part des énergie renouvelables en France ?Facile, il suffit de regarder l’article Wikipédia sur l’énergie en France, pour comprendre la répartition des différentes énergies dans notre pays. Vous trouverez alors dans ce même article ces quatre informations à ce sujet :

  • « L’électricité représentait 25 % de la consommation finale d’énergie en France en 2018. Elle provenait en 2019 pour 69,9 % du nucléaire, pour 21,1 % de sources d’énergies renouvelables ».
  • « La consommation d’énergie finale (au niveau des consommateurs) de 2018 se répartissait comme suit par source primaire d’énergie : combustibles fossiles : 67,4% ; nucléaire : 17,7 % ; énergies renouvelables : 14,9 % […] ».
  • « En 2017 […] Tous secteurs confondus, l’électricité nucléaire est la première forme d’énergie primaire consommée : 40 %. Viennent ensuite le pétrole : 29 %, le gaz : 16 %, les énergies renouvelables et déchets : 11 %, le charbon : 4 % » .
  • « Les énergies renouvelables représentaient 9,4 % de la consommation d’énergie primaire et 14,9 % de la consommation finale brute d’énergie en France en 2015 ».

Quel chiffre choisir dans cet article Wikipédia ? Pas si facile… En plus, dans la même phrase, on fait référence à différentes années… Bref, c’est un vrai casse-tête pour trouver un chiffre qui correspond à notre attente. Wikipédia, c’est vraiment super (moi le premier, j’adore) mais il faut vraiment faire attention à tous ces chiffres, surtout dans ces grands articles. On voit ici deux notions différentes dont voici les définitions :

  • La consommation finale brute d’énergie (Ef) : cet indicateur couvre la consommation d’énergie par les utilisateurs finaux tels que les ménages, l’industrie, les transports, les services et l’agriculture.
  • La consommation d’énergie primaire (Ep) :  Cet indicateur est égal à l’indicateur précédent (Ef), plus la consommation d’énergie du secteur de l’énergie elle-même pour la production et la transformation des énergies, les pertes survenant lors de la transformation des énergies (par exemple, l’efficacité de la production d’électricité à partir de carburants combustibles) et les pertes de transmission et de distribution de l’énergie. Par exemple, en France, plus de 60 % de l’énergie primaire est perdue lors de la production et le transport de l’énergie électrique

Ces deux indicateurs sont donc très différents et si on calcule les pourcentages des filières énergétiques par rapport à ces notions, on obtient des résultats variant du simple au double. Le diable se cache dans ce genre de détails. Ce diagramme illustre parfaitement ces deux notions, même s’il peut paraitre un peu complexe au premier abord :

Diagramme de Sankey du bilan énergétique français 2017 [source]

Donc dans un article Wikipédia, on va tout trouver et donc on peut vite se tromper. Pour obtenir la bonne réponse à la question initiale, j’ai plutôt tendance à consulter des sites institutionnels comme l’Ademe pour l’énergie qui m’a donné la réponse suivante :

« Les énergies renouvelables représentent 16 % de la consommation totale d’énergie en France en 2017 (soit 25 Mtep d’énergie finale comprenant 15 Mtep thermique et 10 Mtep électrique) »

Conclusion : on est plutôt mal parti pour avoir nos 32 % en 2030, cela signifie qu’on va devoir doubler les énergies renouvelables en 13 ans…

2)   La part de l’éolien et du photovoltaïque dans les renouvelables en France

Dans beaucoup de sources, vous verrez les chiffres suivants pour ces deux énergies comme ici sur le site d’EDF :

  • « En 2017, le parc éolien français a produit 24 TWh soit 4,5% de la production d’électricité nationale. »
  • « La consommation d’électricité d’origine photovoltaïque représente 2 % de la consommation d’électricité nationale en 2017.»

Mais ici, EDF ne s’intéresse qu’à l’énergie d’origine électrique (normal, c’est leur métier) alors que nous nous intéressons ici à leur contribution dans l’ensemble des renouvelables, qui ne produisent pas nécessairement de l’électricité. Pour notre deuxième question, on peut se référer encore à l’ADEME qui nous fournit ce petit dessin très bien fait sur les énergies renouvelables :

L’éolien représente donc 7,1% des énergies renouvelables et le photovoltaique 2,7%, soit respectivement 1,8 Mtep et 0,7 Mtep. La plus grosse énergie renouvelable dans la consomation finale est donc ce qu’on appelle le bois de chauffage avec 41,2 %, suivi par les barrages qui fournissent l’énergie hydrauliques (19,8 % des renouvelables).

3)   Quelles augmentations pour l’avenir ?

Question finale : Quelle augmentation annuelle doit-on viser sur l’éolien et le photovoltaïque pour satisfaire les 32 % de renouvelable en 2030 si les autres énergies renouvelables restent constantes ?

Evidemment, ici, je fais deux hypothèses plus que discutables :

  • Notre consommation finale en 2030 sera la même qu’en 2017 (pourquoi pas) : 155 Mtep.
  • Les autres énergies renouvelables produiront la même quantité d’énergie qu’aujourd’hui (c’est sans doute vrai pour l’hydraulique mais les autres risquent d’augmenter sensiblement).

Donc ici, on assume que le doublement des énergies renouvelables entre 2017 et 2030 sera exclusivement dû à l’éolien et au solaire (on va garder la même répartition éolien/solaire, soit 60%/40%). Donc, quelle augmentation annuelle doit-on prévoir ?

Réponse1 : L’homme politique nul en math (genre Trump) :

  • Il faut passer de 16% à 32 % en 13 ans, ça nous donne en moyenne seulement 1,2% d’augmentation par an sur l’éolien et le solaire. Ça parait facile à atteindre comme objectif, pas grande chose de plus à faire.
  • Ce raisonnement est archi faux.

Réponse 2 : le Scientifique (malheureusement c’est beaucoup plus compliqué) :

  • Si on veut 32% de renouvelables en 2030, ça veut dire 0,32*155 = 49,6 Mtep au total.
  • Si les autres renouvelables ne bougent pas, ils représenteront toujours la même quantité, soit 22,4 Mtep.
  • Il restera donc 27,2 Mtep à allouer à l’éolien et au solaire.
  • Si on repartit ces 27,2 Mtep en 60%/40%, ça donne 16,3 Mtep pour l’éolien et 10,9 Mtep pour le solaire (contre 1,76 Mtep et 0,67 Mtep en 2017)
  • Donc, en termes d’augmentation totale sur la période 2017-2030, on obtient respectivement 828 % d’augmentation pour l’éolien et 1527 % d’augmentation pour le solaire à faire en 13 ans.
  • Pour calculer l’augmentation moyenne annuelle nécessaire, il faut utiliser une formule mathématique qui permet de prendre en compte les itérations successives d’année en année : x = (C2030 / C2017)^(1/13) – 1
  • Les résultats donnent ainsi une augmentation annuelle pendant 13 ans de 23 % pour l’éolien et de 20% pour le photovoltaïque, ce qui est un vrai défi !!

Vous voyez qu’entre la première réponse trop simpliste et la réalité, on a un facteur 20 d’erreur ! Et ici, ce sont juste des maths. Donc, prenez garde !!

Pour conclure

Donc, notre objectif 2030 est atteignable ou pas en mettant le paquet sur les éoliennes et le photovoltaïque ? Eh bien, ce n’est pas si fou que ça mais notre gouvernement doit encore plus favoriser ces deux énergies et leur permettre de se développer sur le territoire. En effet, on peut lire ceci [source] :

« En 2019, la production du parc éolien a produit 21 % d’énergie de plus par rapport à 2018 et l’énergie solaire a augmenté de près de 8 %. Cette augmentation s’explique non seulement par la croissance du parc mais aussi par des conditions météorologiques particulièrement favorables en 2019.»

Donc, 20% d’augmentation sur une année, c’est réalisable, il suffit de tenir le cap jusqu’en 2030… courage.

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La science pour tous

Ingénieur au CERN (Organisation Européenne pour le Recherche Nucléaire) à Genève, Suisse.

6 Comments

  • Ok mais l’éolien et le solaire ne sont pas un but en soit, ce n’est qu’un moyen de diminuer les émissions de CO2 pour atteindre l’objectif de -33% de CO2 (1) dans le secteur de l’énergie comme promis par la Stratégie Nationale Bas Carbone (SNBC), SI ILS REMPLACENT DES ENERGIES PLUS CARBONEES.

    Hors, en France, remplacer des centrales nucléaires qui produit 6g de CO2eq/kwh par de l’éolien qui produit 10 gCO2/kWh et du solaire à 32 gCO2/kWh va…. nous éloigner des objectifs de la SNBC. (2)

    Si les milliards dépensés dans l’éolien et le solaire l’étaient pour remplacer les chaudière au fioul par des pompes à chaleur et isoler les batiments, nous aurions des chances d’atteindre nos objectifs.

    On n’est pas sortis des ronces…

    Rendez-vous en 2030 !

    Sources:
    (1) page 3 – https://www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/SNBC-2%20en%204%20pages_%20web.pdf
    (2) https://cpdp.debatpublic.fr/cpdp-ppe/electricite-nucleaire-12-ou-66-gc02kwh.html

    • En effet, on est pas sortis des ronces. C’est vrai, si on remplace du nucleaire par de l eolien/solaire, le bilan CO2 ne sera pas affecté (et meme moins bon), mais si on remplace le thermique conventionnel (Charbon/Gaz/Fioul) qui represente quand meme 8% de l electricite aujourd’hui, alors ca marche. De meme, si on remplace des voitures a essence par des voitures electriques, on doit produire plus d electricite, et dans ce cas, l eolien/solaire peuvent jouer ce role.

      Je rappelle aussi ici en passant que la France va devoir sortir du nucleaire (quoi qu’il arrive car dans 100 ans, plus d’uranium…) donc il faut bien des remplacants, et pas des moindres…

      • Je vous invite à faire le calcul d’ordre de grandeur: à votre avis, combien d’éolienne sont nécessaires pour remplacer tout le parc nucléaire français ?

      • C’est pire que vous le pensez, même pour un matheux !
        Car le parc de production doit garantir qu’il fournira l’énergie annuelle nécessaire à nos activités, mais aussi qu’il sera capable de répondre aux besoins à la pointe de consommation (généralement un soir d’hiver) : si cette pointe excède la puissance disponible, c’est le blackout et ses conséquences délétères.
        Application : remplacez du nucléaire (grosso modo disponible à 90 % à la pointe du soir en hiver) par de l’éolien (qui tombe fréquemment sous 10 % en cas d’anticyclone) ou par du solaire (qui est généralement à 0 % à 19h), et vous augmentez sensiblement le risque de blackout. L’arrêt de Fessenheim pour motifs purement politiques nous en rapproche. Heureusement que le Covid est là pour adoucir les pointes… mais pour combien de temps ?

        • C’est exact, mais si, par exemple, le parc automobile passe à l’électrique, on a la possibilité d’adoucir les pics avec les batteries des véhicules (Vehicle-to-Grid, voire même V2X).
          Même chose pour les autres activités: une partie de l’existence des pics est juste une question d’habitude et d’organisation.
          Cela ne veut pas dire que c’est parfait, mais que l’argument de l’indisponibilité est en réalité pas si bloquant qu’il est souvent présenté.

          Après, je suis peut-être biaisé: je pense avoir été initialement assez neutre sur le sujet, mais à force de voir des arguments de mauvaise foi chez les pro-nucléaires et le niveau de communication très très « marketing » du secteur, j’ai tendance à peut-être être très méfiants avec les arguments « pro-nucléaire ».
          (j’aime bien la technologie en elle-même, mais le secteur industriel est, comme tout les grands secteurs capitalistes, de la merde au niveau scientifique: ils n’hésitent pas à « oublier » dans leur communication les éléments qui ne les favorisent pas et n’hésitent pas à pousser le plus possible l’économique au détriment de la qualité)

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