Physique Phys. Particules/Quantique

Les photocathodes dans les accélérateurs

Ce billet ne tombe pas par hasard, il est l’occasion de rendre hommage à un collègue et ami, Eric, tout jeune retraité, qui a passé plusieurs décennies au CERN (Organisation Européenne pour la Recherche Nucléaire) à fabriquer des centaines de photocathodes très particulières pour générer des impulsions d’électrons ultrabrèves pour des accélérateurs de particules. Merci à lui, il est ma source (sans mauvais jeu de mots) principale pour alimenter ce billet.

Eric, un spécialiste des photocathodes au CERN

Le principe de la photocathode est plutôt simple à appréhender au premier abord : c’est un dispositif capable d’émettre des électrons si on l’éclaire avec de la lumière (des photons). En gros ça fonctionne un peu comme un panneau solaire mais il y a des subtilités, alors essayons d’y voir plus clair.

L’effet photoélectrique

Le principe physique sous-jacent des photocathodes (et des panneaux solaires) est l’effet photoélectrique. Ce phénomène observé depuis le milieu du 19ème siècle a dû attendre 1905 pour qu’on l’explique correctement et cette explication a été récompensée par un prix Nobel en 1921 à un certain Albert Einstein (eh oui, Einstein a obtenu le Nobel pour l’explication de l’effet photoélectrique, pas pour la relativité). Cet « effet » est très intéressant et riche pour la science et ses applications. C’est pour expliquer cet effet qu’Einstein a postulé l’existence des photons qui nous paraissent aujourd’hui évidents mais qui était en contradiction avec la théorie alors en vigueur (Maxwell) car la lumière était exclusivement considérée comme une onde et non comme une particule. C’était donc le début d’une révolution qu’Einstein reniera ensuite toute sa vie : la théorie quantique !

Bref, cet effet photoélectrique stipule que des électrons (donc de l’électricité) peuvent être émis par certains matériaux si on les bombarde avec photons (donc de la lumière). Cette émission peut avoir lieu :

  • soit à l’intérieur du matériau et créer un courant électrique dans le matériau (émission interne) comme dans les panneaux solaires photovoltaïques qui permettent de produire de l’électricité grâce au rayonnement solaire dans un semi-conducteur.
  • soit à la surface du matériau pour envoyer des électrons vers l’extérieur (émission externe), comme dans les photocathodes qui nous intéressent ici.

Ceci permet de comprendre pourquoi les photocathodes ne sont pas des panneaux solaires. Elles vont in fine permettre de créer un faisceau d’électrons sortant à partir d’un faisceau de photon entrant. Il existe deux grandes applications pour les photocathodes : les dispositifs de détection de lumière (photomultiplicateurs) et les sources de faisceaux d’électrons que l’on peut ensuite utiliser dans des accélérateurs de particules, et c’est ce dernier point qui nous intéresse dans ce billet.

Pourquoi des photocathodes pour les accélérateurs ?

Voici notre sujet de base : l’utilisation des photocathodes pour générer des faisceaux d’électrons à partir de faisceaux laser pour ensuite accélérer ces électrons avec des accélérateurs de particules.

Schéma de principe simplifié d’un accélérateur d’électrons utilisant une photocathode comme source

En fait, il faut déjà comprendre pourquoi utiliser une photocathode pour cette tache alors qu’on peut générer des faisceaux d’électrons beaucoup plus facilement avec des « canons à électrons » qui sont de simples filaments chauffés sous vide et dont on extrait les électrons à l’aide d’un champ électrique. C’est la technique la plus simple et abondamment utilisée, comme dans les tubes cathodiques de nos anciennes télévisions, dans les microscopes électroniques à balayages, et dans les accélérateurs de particules.

L’avantage de la photocathode réside dans le fait que le faisceau d’électrons généré va avoir des caractéristiques communes avec le faisceau laser qui va lui donner naissance. De plus, ce phénomène de photoémission est extrêmement rapide et comme on sait fabriquer des lasers produisant des impulsions extrêmement brèves et intenses, cela signifie qu’on peut produire des pulses d’électrons également extrêmement brefs et intenses. Et cela, c’est très difficile avec un canon à électrons standard et ça intéressent beaucoup les physiciens pour leurs études qui cherchent à obtenir des faisceaux avec une grande brillance, c’est-à-dire avec beaucoup d’électrons dans peu d’espace. Il n’en fallait pas plus pour que plusieurs équipes se mettent à développer des photocathodes pour leurs accélérateurs de particules.

Historique des photocathodes au CERN

Dès 1988, le CERN commence à s’intéresser de près à ce sujet, voir la CLIC-Note-065, où il est mentionné que l’utilisation de photocathode parait indispensable pour le futur projet « CLIC », un accélérateur linéaire à électrons de plusieurs dizaines de kilomètres qui ne verra sans doute jamais le jour mais la source d’électrons, elle, verra le jour sur plusieurs bancs de tests (CTF1 & 2 pour CLIC Test Facility). Cet accélérateur nécessite des paquets d’électrons ultracourts, de l’ordre de la picoseconde (10-12 seconde, soit un millième de milliardième de seconde), ce que les sources d’électrons conventionnelles ne pouvaient pas faire alors qu’on maitrisait plutôt bien ce genre d’impulsion dans les lasers.

Donc comme on savait déjà faire une impulsion laser de quelques picosecondes, voire moins, restait à développer une photocathode adéquate pour générer une impulsion d’électrons du même ordre. C’est ainsi que le laboratoire de photoémission a été créé en 1989 au CERN car il fallait développer une expertise locale.

Croquis du banc de test utilisé dans le laboratoire de photoémission du CERN pour préparer des photocathodes. Extrait de la CLIC Note 203 (1993).

 

La première tâche consistait à trouver un alliage pour la photocathode qui répondrait aux besoins et il y a beaucoup de candidats potentiels mais peu de candidats sérieux pour l’application désirée. Entre autres, il y a deux paramètres fondamentaux pour une photocathode :

  • Son rendement quantique (noté QE pour Quantum Efficiency) et qui correspond en gros au nombre de photons nécessaires pour émettre un électron. Un rendement de 1% signifie qu’il faut envoyer 100 photons pour générer un électron (mais ce rendement dépend aussi de l’énergie des photons incidents). Pour référence, les cathodes alcalines ont des rendements de quelques pourcents alors que les cathodes métalliques ont un rendement très médiocre. Le cuivre a par exemple un rendement de seulement 0,005%. En revanche, les cathodes métalliques permettent des impulsions plus courtes, de l’ordre de la femtoseconde (soit un millionième de milliardième de seconde).
  • Sa durée de vie qui peut être très variable, de quelques minutes à quelques mois. Ce dernier paramètre dépend fortement de la « pureté » de la photocathode car la moindre petite pollution va changer la donne et il faut donc conserver ces photocathodes sous un vide extrême pour les fabriquer, les stocker, les déplacer et les utiliser. Cette contrainte est évidemment ennuyeuse et nécessite tout un protocole précis et rigoureux à mettre en place.

Bref, trouver le bon matériau et le bon protocole n’est pas évident. Mon ami Eric me dit à ce sujet la chose suivante :

« En effet, il est possible de faire de la photoémission avec n’importe quoi ou presque, il faut simplement que l’énergie des photons soient supérieures ou égales au travail de sortie des électrons du matériaux considéré […]. Donc, on a commencé comme Los Alamos avec des photocathodes « alcalines’, du Cs3Sb (ou K3Sb ou Na2KSb). Les résultats chez nous, en 1989/1990, étaient très mauvais, ça ne marchait quasiment pas, on avait une durée de vie de quelques dizaines de minutes ! […] On a alors essayé en labo les cathodes métalliques, avec tout un tas de métaux : Cuivre, Acier, Acier inox, Titane, Molybdène, Yttrium, Samarium, Or, etc. […]. Et là, encore : échec ! ».

A cette époque, il y avait peu littérature sur le sujet et même si les bases théoriques de la photoémission étaient solides et que la littérature existait pour les phototubes, dans la pratique, c’était une autre histoire. En fait, plusieurs photocathodes expérimentées à cette époque auraient pu fonctionner, mais avec un vide beaucoup plus poussé, de l’ordre de 10-12 mbar, chose compliquée à mettre en œuvre, surtout si on doit transporter la photocathode d’un endroit à un autre. C’est quelques années plus tard, en 1992, que le CERN trouve enfin alliage adéquate : Le Césium telluride (Cs2Te). Le laboratoire de photoémission du CERN a ainsi réussi à obtenir des rendements quantiques allant jusqu’à 12% dans des enceintes à vide de 10-9 à 10-10 mbar environ pour une durée de vie de plusieurs jours/semaines, ce qui était compatible avec les bancs de tests du projet CLIC. Ces photocathodes vont ainsi équiper les deux premiers bancs de tests (CTF1&2) jusqu’en 2002 mais dans la troisième version (CTF3), la photoémission est mise de côté, principalement à cause des difficultés rencontrées avec les Lasers.

Cependant, l’histoire ne s’arrête pas là et le CERN a continué à fabriquer des photocathodes pour d’autres projets comme pour le photo-injecteur PHIN (2004-2016) ou CLEAR, en partenariat avec le Laboratoire de l’Accélérateur Linaire (LAL) d’Orsay et le CEA.

Une photocathode avec un dépôt de Cs2Te pour le photo-injecteur PHIN, extrait de la CTF3 note 103 (2012)

Mais la photoémission est revenue à la mode au CERN dans le cadre du projet AWAKE dont j’ai déjà parlé dans un article précédent. Le photo-injecteur PHIN a ainsi été donné à AWAKE en 2017 et les photocathodes fabriquées pour AWAKE aujourd’hui montrent des rendements quantiques impressionnants, jusqu’à environ 20%, et avec des durées de vie de quelques années si les photocathodes sont conservées sous ultravide, ce qui était impensable dans les années 90.

Le CERN collabore également avec l’hôpital de Lausanne dans le cadre du projet de « radiothérapie FLASH ». Ce projet a pour objectif de traiter des cancers sur des patients grâce une impulsion intense ultrabrève pour tuer une tumeur sans trop endommager les tissus alentours alors qu’une radiothérapie conventionnelle irradie le patient pendant plusieurs minutes. Là encore, l’utilisation d’une photocathode est indispensable. Plus d’infos ici.

Les photocathodes dans les FEL

L’autre grand candidat pour accueillir des photocathodes sont les Lasers à Electrons Libres, aussi appelés « FEL » (Free Electron Laser) qui permettent de générer des rayons X extrêmement brefs et puissants pour sonder la matière comme jamais à l’échelle du nanomètre. Les FEL peuvent même permettre de « filmer » des molécules se mouvoir dans les 3 dimensions lors d’une réaction chimique et ouvrent de nombreuses possibilités dans de nombreuses disciplines depuis les sciences du vivant jusqu’à l’astrophysique.

Ces machines font souvent plusieurs kilomètres de longs et nécessitent d’importantes infrastructures pour fonctionner correctement mais elles utilisent toutes une source d’électrons à partir d’une photocathode illuminée par des lasers perfectionnés, capables de délivrer des impulsions de l’ordre de la femtoseconde. Aujourd’hui, il existe désormais plusieurs grands projets de FEL sur les différents continents comme FLASH en Allemagne (2005), LCLS aux Etats-Unis (2009), SACLA au Japon (2011), PAL-XFEL en Corée du Sud (2016), SwissFEL en Suisse (2017), et European X-FEL en Allemagne (2017). La Chine est aussi en train de mettre en service un nouveau grand FEL près de Shanghai dénommé SHINE.

Photo aérienne du SLAC avec le futur LCLS II. Photo personnelle prise il y a quelques mois, juste avant d’atterrir à San Francisco, pour justement travailler sur le refroidissement cryogénique des cavités accélératrices supraconductrices de LCLS II.

Pour conclure

Les photocathodes permettent donc de produire, à partir d’impulsions laser, des faisceaux d’électrons extrêmement brefs et intenses. Ces faisceaux extrêmement brillants permettent de nouvelles applications dans des accélérateurs de particules et de nombreux projets dans le monde exploitent ces possibilités. Les recherches sont toujours très actives sur les photocathodes et les chercheurs ont toujours de nouvelles idées pour améliorer leurs rendements et leur durée de vie. Mon ami Eric, me dit à ce sujet que ces collègues essayent à présent « de faire de la R&D sur des cathodes cuivres avec des nanostructures […] et espèrent produire des électrons avec un rendement quantique augmenté d’un facteur 2 à 10 pour le cuivre ». Bref, encore de beaux jours à prévoir pour les photocathodes, surtout avec tous ces projets de Laser à Electron Libres qui fleurissent un peu partout et sont très prometteurs.

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La science pour tous

Ingénieur au CERN (Organisation Européenne pour le Recherche Nucléaire) à Genève, Suisse.

1 Comment

  • Bonjour
    j’ai lu par hasard cet article sur les photocathodes, étonné par le rendement du cuivre de 0,005%. Y a t il une explication sur ce rendement très faible et pourquoi un alliage avec du Cs et du Te est bien meilleur? Quel et le rendement des photocathodes des tube photomultiplicateurs?
    Bieen cordialement

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