Environnement

Relation entre émissions de CO2 et PIB dans le monde

On voit beaucoup de chiffres et beaucoup de graphiques au sujet des émissions de CO2 (dioxyde de carbone) et du PIB (Produit Intérieur Brut). L’idée sous-jacente est relativement simple : les riches émettent plus de CO2 que les pauvres et le PIB reflète donc en quelque sorte la contribution au réchauffement climatique des habitants. La conclusion serait que si on veut enrayer le réchauffement climatique, en grande partie dû aux émissions de CO2, il faut « décroitre » le PIB de notre planète. Ce raisonnement est à mon avis plutôt juste et c’est une bonne direction pour l’avenir mais il faut néanmoins faire attention… le PIB est clairement trop réducteur et ce n’est sans doute pas le bon indicateur. D’ailleurs, cet indicateur est de moins en moins pertinent et ne sera sans doute plus le graal des politiques dans l’avenir (du moins je l’espère).

Représenter des données de manière juste et sans ambiguïté pour les lecteurs peut s’avérer non trivial selon les cas, surtout lorsque des enjeux politiques et financiers sont derrière et que de nombreux biais peuvent apparaitre. Les scientifiques produisent des graphiques et des tableaux de chiffres le plus souvent justes mais leurs interprétations peuvent être parfois désastreuses et provoquer des fakes news de manière intentionnelle ou pas.

J’ai donc décidé d’apporter ma pierre personnelle à cet édifice CO2/PIB déjà bien érigé. Je suis allé récupérer des données sur le site de la Banque Mondiale qui publie des données démographiques, économiques et écologiques de tous les pays de la planète depuis les années 60 jusqu’à aujourd’hui. J’ai essayé de produire quelques graphiques à partir de ces données en illustrant les différents biais possibles en expliquant l’importance de bien comprendre les chiffres utilisés ainsi que leur représentation.

PS : tous les graphiques de ce billet ont été réalisés en Python 3 à l’aide des librairies matplotlib et seaborn à partir des données publiées par la Banque Mondiale.

Premier graphique : Linéaire

Mon premier « graphique bulle linéaire » utilise trois ensembles de données pour l’année 2018 :

  • En abscisse (x) : Le PIB moyen de chaque pays calculé en dollars d’aujourd’hui par habitant.
  • En ordonnée (y) : La quantité moyenne de CO2 de chaque pays calculé en tonne métrique par habitant.
  • La taille des bulles: Correspond à la population de chaque pays, donc c’est en quelque sorte le poids de chaque pays comme les données en abscisse et ordonnée sont données par habitant.

Figure 1 : Relation entre PIB et CO2 moyen par habitant pour les différents pays dans le monde en 2018 (échelle linéaire). Cliquez pour agrandir.

Le problème est que les différences de PIB et d’émission de CO2 entre les pays est énorme et qu’une échelle linéaire ne permet pas d’analyser ce graphique pleinement car il est illisible pour les « petits » PIB et émetteurs de CO2. On voit bien en revanche les gros émetteurs de CO2 et les très riches. Le principal avantage de l’échelle linéaire est qu’elle est facile à comprendre et qu’elle n’induit pas d’erreur de perception chez les humains. On peut alors pleinement ressentir l’écart abyssale entre les quelques pays riches et pollueurs avec la multitude des autres pays plus modestes.

Au sujet de la relation PIB/CO2, on peut confirmer qu’en général les plus riches sont les plus gros émetteurs de CO2 mais il est néanmoins difficile de sortir une loi mathématique de tout cela car la dispersion entre les pays est grande, surtout pour les plus riches. Quelques observations :

  • Les qataris (QAT) sont les plus gros émetteurs de CO2 par habitant tout en faisant partie des habitants les plus « riches » du monde.
  • Le Liechtenstein (LIE) est le pays ayant le plus important PIB/habitant mais c’est un pollueur moyen, similaire à la France (FRA).
  • Un Luxembourgeois (LUX) émet autant de CO2 qu’un américain (USA) mais génère quasiment deux fois plus d’argent.
  • Un suisse (CHE) émet pratiquement 2 fois moins de CO2 qu’un chinois (CHN) mais son PIB est 10 fois supérieur.

L’échelle logarithmique

La solution pour rendre le graphique précédent plus lisible pour tous les pays est d’utiliser des échelles logarithmiques pour le PIB et les émissions de CO2. Une échelle logarithmique signifie qu’on va représenter les chiffres de nos données en puissance de 10. C’est comme si on dilatait les points représentant des petits nombres et qu’on contractait les points ayant de grands nombres. Cette technique, très classique en analyse de données, permet de représenter des nombres très différents dans un même graphique en les répartissant de manière plus homogène dans l’espace disponible.

En revanche, il y a un gros piège de perception pour nous, pauvres humains, car la même distance entre deux points du graphique ne représente plus le même écart selon sa position. Dans les 2 petits graphiques ci-dessous, j’ai illustré ce changement d’échelle avec quelques lignes et quelques pays pour une meilleure compréhension (Chine « CHN », Etats-Unis « USA », France « FRA », Inde « IND », Suisse « CHE » et moyenne mondiale « WLD ») :

Figure 2 : Ces deux graphiques représentent les mêmes données mais celui de gauche est en échelle linéaire et le celui de droite en échelle logarithmique.Cliquez pour agrandir.

Deuxième graphique : logarithmique

J’ai donc appliqué cette technique à la Figure 1 pour obtenir un « graphique bulle logarithmique » qui je le rappelle représente exactement les mêmes données que précédemment. J’ai juste rajouté quelques points et lignes caractéristiques :

  • La limite maximale d’émission par habitant que nous devrions respecter pour retrouver une planète vivable (ligne rouge à 2 tonnes de CO2/hab).
  • Le PIB de la France (ligne bleue à 41 000 dollars par habitant).
  • La moyenne mondiale (croix bleue « WLD» au centre) : 11 000 $/hab pour 4,5 tCO2/hab.

Figure 3 : Relation entre PIB et CO2 moyen par habitant pour les différents pays dans le monde en 2018 (échelle logarithmique). Cliquez pour agrandir.

Cette figure parait beaucoup plus « belle » que la première dans le sens ou peut presque distinguer tous les pays du monde en un coup d’œil et qu’on a envie de dire : « La relation PIB/CO2 est plus que claire, ça fait presque une ligne droite entre les pays les plus pauvres et les plus riches ». Sauf que c’est une échelle en puissance de 10 et la ligne droite est en fait une courbe qui augmente de plus en plus. De plus, si on regarde à nouveau le premier graphique, la relation PIB/CO2 pour les pays les plus riches est très loin d’être évidente.

On pourrait également croire que la moyenne mondiale (WLD) est proche de la limite à atteindre de 2 tonnes CO2/hab mais encore attention aux échelles logarithmiques. En fait, il y a plus d’un facteur 4 entre les deux et l’effort à faire est donc énorme pour atteindre cet objectif.

La valeur de l’argent

Une tonne de CO2 en 1960 est la même qu’en 2018 et elle est identique en Chine et aux Etats-Unis. Les grandeurs physiques sont donc très pratiques pour les comparaisons car elles n’ont pas de biais temporels ou géographiques, c’est d’ailleurs une des beautés de la science.

En revanche, on ne peut pas en dire autant pour les grandeurs économiques comme l’argent, et donc pour le PIB. C’est une tout autre histoire car chaque monnaie évolue en fonction des autres (les taux de change) et les phénomènes d’inflation et de déflations empêchent toute comparaison monétaire entre deux époques. Imaginez qu’une baguette de pain en France coûtait 5 centimes d’euros en 1960 contre 90 centimes d’euros aujourd’hui en moyenne et pourtant, elles nourrissent de la même manière… De plus, le coût de la vie entre deux espaces géographiques peut être radicalement différents. Avec vingt euros en France, vous pouvez manger un repas complet dans un restaurant alors qu’en Inde, le même repas vous coutera l’équivalent de 2 euros !

Si vous suivez bien, je suis en train de vous dire que mes petits graphiques présentés plus haut n’ont pas beaucoup de valeur car ils sont tous basés sur des « dollars courants » ou seul le taux de change est appliqué entre deux pays, sans tenir compte du coût de la vie dans ces pays. Mais à contrario, nous vivons dans un monde entièrement mondialisé, et cela peut finalement avoir un certain sens car la plupart des marchandises s’échangent tout autour de la planète en appliquant ces mêmes taux de change.

Pour contrer cela, les économistes ont inventé plusieurs principes comme la monnaie constante servant de base pour une monnaie et une année donnée qui est ensuite ajustée en fonction du coût de la vie de l’année considérée ou encore le dollar à Parité de Pouvoir d’Achat (PPA), aussi appelé dollar international ou le Dollar Geary-Khamis. Ce dollar international, utilisant le plus souvent l’année 1990 comme base, est beaucoup utilisé dans les comparaisons économiques entre les pays car il permet de refléter de manière assez juste la valeur réelle d’un dollar de 1990 dans les différents pays et dans les différentes années.

Troisième graphique : en dollars international

Dans les données de la banque mondiale que j’ai utilisées, on peut accéder aux données en « dollars courants » en « dollars constants 2015 » ou en « dollar international PPA ». Voici donc l’équivalent de la Figure 3 mais en dollar international :

Figure 4 : Relation entre PIB (en dollar international) et CO2 moyen par habitant pour les différents pays dans le monde en 2018 (échelle logarithmique). Cliquez pour agrandir.

Le résultat est assez similaire mais le faisceau de pays est plus resserré avec moins de dispersion, ce qui renforce la corrélationCO2/PIB. Il est intéressant de voir que les Français s’en tire plutôt bien en ayant des émissions CO2 moyennes inférieures aux pays ayant des PIB similaires. Cependant, il reste encore un long chemin à parcourir si nous voulons atteindre ces fameux 2 tonnes CO2/habitant en France, et donc encore plus pour les autres pays.

PS : Si jamais vous faites votre bilan carbone (il existe de nombreux site pour cela comme Carbon Foot Print ou Nos Gestes Climat) et que vous calculez votre revenu annuel, vous pouvez toujours essayer de vous placer sur ce graphique pour vous faire une idée de votre place dans le monde.

Evolution dans le temps

Et voici le même graphique pour 1990 :

Figure 5 : Relation entre PIB (en dollar international) et CO2 moyen par habitant pour les différents pays dans le monde en 1990 (échelle logarithmique). Cliquez pour agrandir.

Si on compare les Figures 4 et 5, on voit bien qu’en 30 ans, ca a pas mal bougé et pas dans le bon sens pour notre planète ! Pour illustrer la « trajectoire » que les différents pays prennent, j’ai essayé de refaire un nouveau graphique avec les données entre 1990 et 2018 pour quelques pays (Brésil, Chine, Etats-Unis, Ethiopie, France, Inde, Mexique, Japon, Ouzbékistan, Russie, Suisse).

Figure 6 : Evolution du PIB (en dollar international) et du CO2 moyen par habitant pour quelques pays entre 1990 et 2018 (échelle logarithmique). Cliquez pour agrandir.

On peut aussi représenter les trajectoires de tous les pays, mais ça devient compliqué de comprendre ce qui passe mis à part que la tendance générale est plutôt « montante » avec un aplatissement ces dernières années pour les pays les plus riches comme on pouvait s’y attendre.

Figure 7 : Evolution du PIB (en dollar international) et du CO2 moyen par habitant pour tous les pays entre 1990 et 2018 (échelle logarithmique). Cliquez pour agrandir.

On pourrait facilement dire à partir de ces dernières figures qu’on va dans la bonne direction avec cet aplatissement des courbes mais attention ! Ici, ce sont les données par habitant. Donc, même si les émissions individuelles se stabilisent, les émissions totales vont continuer d’augmenter si la population mondiale augmente. Et en plus, pour retrouver une situation raisonnable pour notre planète, je vous rappelle qu’il faudrait se situer sous les 2 tonnes de CO2 par habitant et nous sommes très loin du compte (pensez à l’échelle logarithmique !!!). Les Chinois devraient revenir à leurs émissions de 1990 et cela parait impossible, et je ne parle même pas des Américains qui sont toujours à 15 tonnes de CO2 par habitant aujourd’hui !

Pour conclure

Ma conclusion, c’est que la corrélation entre le PIB et les émissions de CO2 était plutôt forte dans les dernières décennies mais que ce n’est pas une fatalité, et ça le sera de moins en moins. On voit des grands pays avec des émissions de CO2 quasi identiques comme la Suisse et le Mexique qui ont pourtant des PIB/habitant très différents (on observe un facteur 3,5 de différence), principalement à cause de leurs politiques. Le facteur politique est sans doute plus puissant que l’on pourrait l’imaginer et le PIB ne fait pas tout. Reste à voter intelligemment et à être responsable avec notre planète…

About the author

La science pour tous

Ingénieur au CERN (Organisation Européenne pour le Recherche Nucléaire) à Genève, Suisse.

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