Vendredi dernier, 08 Septembre 2017, nous étions conviés (nous, Benjamin et Noémie qui écrivons ce billet à quatre mains), en tant que blogueurs scientifiques à une petite visite guidée de l’exposition temporaire « Venenum » au musée des Confluences à Lyon. C’était la quatrième fois que nous nous rendions dans ce superbe musée, et c’est toujours un bonheur.
Le musée des confluences, situé au point de rencontre entre le Rhône et la Saône à Lyon.
Cette expo pluridisciplinaire est dévouée aux poisons et autres substances vénéneuses ou venimeuses comme son nom, volontairement polysémique, l’indique. La chargée d’exposition nous a d’ailleurs raconté que ce titre, « venenum », a tout d’abord fait hérisser quelques cheveux mais fonctionne bien au final pour cette exposition qui fait un carton : déjà 200 000 visiteurs depuis avril 2017 et l’expo a donc été prolongée jusqu’en avril 2018 (jusqu’au vendredi 13 pour être exact !).
La pomme
Tout commence avec une pomme aux effluves numériques semblant empoisonnés, visible tout le long de l’exposition grâce à des jeux d’ouvertures et une exploitation de l’espace en diagonale. Cette scénographie soignée construit une ambiance « venenum » et met aussi ainsi physiquement en scène la transversalité de l’exposition qui confronte histoire, sciences de la nature et du vivant (chimie, pharmacologie, zoologie, botanique), ethnologie, physique, etc.
La pomme empoisonnée, assortie de lumière verdâtre, avec des jeux d’émanations virtuelles qui évoquent aussi bactéries et autres mystères fantastiques…
En voyant cette pomme, la première intuition amène à l’esprit Blanche-Neige ou le jardin d’Eden mais nous, nous n’oublions pas Alan Turing. Turing est l’un des pères de la logique moderne et des calculateurs (les futurs ordinateurs !), c’est lui qui cassera le code de chiffrement allemand de la machine Enigma pendant la seconde guerre mondiale pour permettre aux alliés de gagner la guerre plus rapidement que prévu (en effet, on estime que la guerre a été raccourcie de 2 ans grâce aux messages codés allemands rendus déchiffrables). Eh bien pour le féliciter, les anglais le condamneront à la castration chimique, car il était ouvertement homosexuel, et il se suicidera en croquant une pomme imbibée de cyanure quelques années plus tard. Un classique pour ce fan de Blanche-Neige…
La chargée d’exposition nous raconte par ailleurs que le musée a reçu un appel téléphonique cocasse d’une mère affolée car son enfant, qui avait bien évidemment, comme presque tous les individus normalement constitués, touché la pomme de l’exposition, présentait à présent des maux de ventre… Bref, vous l’avez compris, c’est une expo dangereuse et nous avons bravé maints dangers pour ramener nos photos sur ce blog !!
Vénéneux, Venimeux, ou toxique ?
La question est classique, mais la réponse pas toujours évidente pour tout le monde :
- Est venimeux tout organisme capable d’injecter un venin (toxines, enzymes) de manière délibérée à un potentiel adversaire ou prédateur. Par exemple, les scorpions, les guêpes, certaines araignées, etc.
- Est vénéneux toute substance ou organisme possédant du venin toxique pour quiconque l’ingère ou le touche dans certains cas. Par exemple, certains champignons ou végétaux, certaines grenouilles ou encore certains poissons.
- Est toxique toute substance pouvant faire du mal à un organisme vivant. Donc tout ce qui est venimeux ou vénéneux est par définition toxique, en incluant aussi des minéraux comme le plomb, le mercure, le radium, etc.
Une des questions qui nous taraude est « quel est l’organisme vivant le plus dangereux ? ». Eh bien nous sommes ressortis de l’exposition avec notre question ouverte car la réponse est tout simplement impossible à donner puisqu’il n’existe pas de quantification scientifique normée pour les venins et autres poisons. On notera d’ailleurs qu’on entend souvent parler du « plus mortel des animaux » pour parler d’un serpent ou d’un poisson alors que cette phrase n’a tout simplement pas de sens (que prend-on ? Le nombre de victimes, la fulgurance d’un venin, sa quantité ?). La chargée d’exposition nous expliquera d’ailleurs qu’au début ils avaient pensé à faire une sorte « d’échelle de dangerosité » pour chaque animal, plante ou minéral mais qu’ils avaient vite abandonnée l’idée devant la complexité et les désaccords entre les différents intervenants.
Cependant, nous aimons à penser qu’on pourrait considérer une telle échelle pour chaque substance chimique en les classant selon la masse nécessaire pour tuer un homme adulte bien portant de 70 kg. Après il faut aussi prendre en compte le temps d’action et le mode d’inoculation (toucher, inhalation, ingestion, intraveineuse, etc.), Enfin bref, ça peut vite être compliqué mais si on considère simplement l’ingestion sans prendre le temps en compte, on obtient un truc du genre :
- 0,001 mg de toxine botulique
- 7 mg d’amatoxines
- 14 mg de strychnine
- 70 mg de ricine
- 420 mg de cyanure
A méditer…
Des tableaux, des animaux naturalisés… et vivants !
Cette expo n’est pas comme les autres de par sa nature pluridisciplinaire et « multi-supports », si on peut parler de « support » dans ce cas précis. En effet, on peut y rencontrer des tableaux antiques comme la mort de Cléopâtre mordue par un aspic (les tableaux ne sont pas des reproductions, comme le pensent certains visiteurs en raison de la relative proximité avec les œuvres…), des « poissons ballons » naturalisés (comme le fugu pour lequel les cuisiniers japonais doivent impérativement suivre une formation pour préparer ses filets sans risquer de liquider la tablée) mais aussi une mygale vivante ainsi que dix autres espèces toxiques bien vivantes (veuve noire, grenouille bleue « Dendrobate azureus »…). Il aura fallu près d’un an d’autorisations et de paperasses pour que l’exposition ai le droit de présenter ces animaux au public dans un musée qui n’est ni un zoo ni un vivarium (et ne prétend pas le devenir !).
Un « poisson ballon » venimeux naturalisé dans le musée
Les empoisonneuses
L’expo parle bien entendu des empoisonneuses à travers les âges, un des archétypes (sexiste) de la femme, potentiellement sournoise et mauvaise, qui a fasciné et fascine toujours, de l’antiquité à nos jours (cf exposition « présumées coupables » aux archives nationales cette année).
Les anecdotes sont ici souvent croustillantes, et macabres…
Nous, nous aimons bien cette empoisonneuse bretonne du 19ième siècle, Hélène Jédago, présentée dans les médias comme la plus grande tueuse en série de l’histoire de France qui possède une soixantaine de personnes empoissonnées à son actif. Il parait que sur une simple remarque désagréable, cette cuisinière pouvait vous concocter un petit gâteau à l’arsenic dans la foulée…
Il y a encore la jeune Marie Lafarge, qui s’emmerde ferme en Corrèze dans une cahute pleine de rats (tiens, de la mort aux rats), et de peu plaisants beaux-parents, et occit son mari avec un gâteau à la crème. Enfin, rien n’est tout à fait sûr, l’expertise médico-légale en est alors à ses balbutiements et les conclusions des chimistes s’opposent dans cette affaire, même si le célèbre Orfila (pionnier de la toxicologie médico-légale) aura le dernier mot.
« C’était grand-mère l’empoisonneuse ! » Détective, n° 497, 9 janvier 1956.
Des poisons au quotidien
Une partie de l’expo est dédiée aux poisons qui nous entourent. En effet, tout le monde est exposé à des poisons quotidiennement et ce depuis fort longtemps. Il y a notamment des substances vénéneuses comme la mort aux rats autrefois faite à base d’arsenic (elle est désormais faite à partir d’anticoagulants) et qui était très courante pour éliminer les rongeurs ou divers membres de sa famille afin d’accélérer un peu les successions. Il parait qu’avec la création des assurances vies, les ventes de mort aux rats ont été boostées…
On peut citer également les intoxications au plomb qui étaient un classique chez les enfants via les petits soldats de plomb, les peintures[1] ou les canalisations, et qui provoquent le saturnisme. Sans parler de l’amiante qui était omniprésente dans les constructions, le radium et autres éléments radioactifs utilisés au début de leur découverte dans des produits de beauté (ils symbolisaient le « Progrès »), les pesticides, les perturbateurs endocriniens et autres éléments de notre environnement moderne. La pollution en général est une question d’empoisonnement de la nature et de l’homme à petit feu et qui est bien plus subtil que la mort aux rats du siècle dernier. L’expo interroge la définition du poison, la multiplicité de la notion… Même si nous verrons après que parfois, ce qui tue peut aussi guérir.
La crème de beauté « Tho-Radia » était composée de thorium et de radium (2 éléments hautement radioactifs) , et vendue entre 1932 et 1937, date à laquelle il est devenu interdit de commercialiser en France des produits contenant des éléments radioactifs.
Nous aimons bien aussi la petite anecdote écologique qui explique qu’après la première guerre mondiale, les stocks de gaz moutarde (hautement toxique et mortel pour l’homme) ont été réutilisés dans les champs français pour tuer les rongeurs et augmenter les rendements de l’agriculture d’après-guerre.
« La destruction des mulots par les gaz asphyxiants ; essais dans l’Aube. » (article de presse, collection particulière du Musée des Confluences, 1923).
[1] L’anecdote de Michel Pastoureau sur Napoléon probablement mort à Sainte-Hélène suite aux inhalations d’un pigment toxique mérite ici d’être évoquée. Le « vert de Schweinfurt » (fabriqué avec du cuivre dissous dans de l’arsenic), dont il est friand et par ailleurs très à la mode alors, recouvre les murs de sa résidence, imprègne tentures et tapisseries. Ce vert « arsenisé » fait très mauvais ménage avec l’humidité du lieu où ses composants s’évaporent… Au 19ème, un certain nombre d’accidents mortels ont lieu en Europe, notamment dans les chambres d’enfant (M. Pastoureau, Vert, histoire d’une couleur, Paris, Seuil, 2013).
Des venins pour soigner
Par ailleurs, depuis longtemps, les poisons sont aussi utilisés à des fins thérapeutiques et sont présents chez les apothicaires. Ils peuvent posséder des vertus soignantes à faible dose tout en étant mortels à plus forte dose. C’est le moment de citer la célèbre maxime « Tout est poison, rien n’est poison : c’est la dose qui fait le poison ». Plusieurs recherches sont d’ailleurs actuellement en cours pour faire de nouveaux médicaments à base de venin, par exemple avec du venin de mygale pour synthétiser un puissant analgésique dans un futur proche.
Etagère d’apothicaire lyonnais possédant de nombreux poisons comme la Ciguë par exemple.
En conclusion, nous vous invitons fortement à aller visiter cette expo venenum avant sa fermeture en avril 2018 et vous suggérons d’en profiter pour faire un tour dans ce gigantesque musée qui traite des sciences et de l’homme dans toutes ses dimensions.